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rentre ensuite dans son pays à l’ordre de ses fidèles, etc. — de nombreux motifs épisodiques, motif de l’invulnérabilité du héros, motif de la fidélité du vassal à son seigneur, motif de la lutte entre divers peuples terminée par un duel entre deux chefs, — maints types et maintes figures, type du vieux conseiller, type du fidèle frère d’armes, type du roi des nains serviable, esprit des eaux, terribles géans adversaires des héros, — voire certaines formules de narration et certains traits de détail comme l’usage de donner des noms aux chevaux et aux épées[1]. » Mais cette argumentation valait-elle mieux que la thèse, un instant en faveur, des Indianistes ? Certains de ceux-ci, pour avoir lu la plus belle morale dans les livres de l’Inde, au moment où ces livres semblaient les plus anciens du monde ; conclurent que l’unique nourrice et maîtresse du genre humain était l’Inde. N’y a-t-il pas dans le genre humain, dès ses origines, un fonds indivis d’idées, de sentimens, de superstitions communes ? Des races trop éloignées pour s’entendre, trop ignorantes pour se connaître ne peuvent-elles, dans leurs similitudes, rester originales ? Ce que l’Allemagne revendiquait comme son bien appartenait-il à elle seule ? Si elle prétendait à l’invention des ambassadeurs matrimoniaux, Eliezer, qui, après avoir placé en manière de serment sa main sous la cuisse d’Abraham, alla chercher pour Isaac une épouse en la ville de Nachor, était-il déjà Germain, ou les Germains, précédés par la Bible dans les prospections nuptiales, devraient-ils tribut aux Juifs ? Tant de princes exilés de tant de pays n’eussent pas demandé mieux que leurs changemens de fortune existassent seulement dans les poèmes germaniques. Le premier des héros invulnérables ne fut-il pas Achille ? Et pourquoi frustrer Achille, le modèle, du rang réclamé par l’imitateur, Sigfrid ? S’il y eut hors de la Germanie une hiérarchie sociale, ne suffisait-elle pas pour former les rapports entre les vassaux et les suzerains ? Le plus célèbre des combats singuliers qui réglèrent le sort des peuples ne fut-il pas le duel des Horaces et des Curiaces ? Le plus vieux des conseillers, Nestor ? Les plus fidèles des amis, Oreste et Pylade, Nisus et Euryale ? Ne trouve-t-on pas aujourd’hui, chez des peuplades assez grossières pour ignorer l’Allemagne et sa culture, la croyance aux esprits et aux sortilèges ? Quel droit d’aînesse la race des géans

  1. Carl Voretzsch, dont le livre est, au témoignage de M. Bédier, le « Vade mecum » des étudians des Universités allemandes.