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soupçons contre elle et lui apposaient la force d’une conviction sincère, honnête, un peu ingénue. Mais il était impossible qu’il n’y eût pas dans le gouvernement des hommes plus avisés, parce qu’ils étaient mieux avertis du développement prodigieux de l’ambition et de la présomption allemandes, qui se rendaient compte de l’effort fait en Allemagne pour saper à sa base même la grandeur de l’Angleterre en se donnant pour but de détruire sa flotte et de remplacer son commerce, à travers les mers, sur tous les continens. On a pu croire quelque temps qu’il n’y avait là qu’une rêverie malsaine, mais peu redoutable et qui ne troublait que les cerveaux allemands ; on aperçoit aujourd’hui la réalité imminente de la menace et, certes, il n’était que temps de le faire ; encore quelques années, il aurait été trop tard. C’est de cela que l’Angleterre a eu la révélation soudaine et l’impression très vive ; elle s’est alors donné pour tâche de réparer en quelques mois la négligence de longues années, et elle le fait avec une merveilleuse activité et rapidité. Le bon britannique est sujet à s’endormir quelquefois, comme on l’a dit du vieil Homère, mais il a des réveils terribles. D’un bout à l’autre du royaume, la vérité de la situation a frappé tous les yeux. Les divisions de la veille, — on sait combien elles étaient ardentes en Irlande, — ont disparu comme par enchantement ; comme chez nous, tous les cœurs se sont trouvés unis.

Le gouvernement s’est montré aussitôt à la hauteur des circonstances : elles n’étaient certainement pas pour lui tout à fait imprévues. Il a compris, il a fait comprendre au pays que, dans la lutte qui s’engage, l’enjeu, pour l’Allemagne, était la domination et, pour l’Angleterre, la liberté du monde, la sienne surtout, et il a demandé au Parlement les moyens matériels de soutenir victorieusement, à côté de la France et de la Russie, le choc prodigieux qui allait battre avec la brutalité d’un bélier les vieilles murailles de la Grande-Bretagne. Que coûtera cette guerre qui, en quatre mois, a déjà dévoré tant de milliards ? Nul n’en sait rien et, en présence des intérêts en cause, nul ne parait s’en mettre en peine. Le 16 novembre, le gouvernement a demandé à la Chambre des Communes un crédit de 250 millions de livres, soit de 6 milliards 250 millions, pour les frais de la guerre, et l’appel d’un nouveau million d’hommes. Sur ce crédit doivent, à la vérité, être prélevés les prêts sans intérêt jusqu’à la fin de la guerre que l’Angleterre a consenti de faire à la Belgique jusqu’à concurrence de 10 millions de livres (250 millions de francs) et de 800 000 livres (20 millions de francs) à la Serbie. Et ce n’est pas tout : l’Angleterre recourt non seulement à l’impôt, mais encore