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« Le lundi 7, nous descendons à la gare de Nanteuil. Nous traversons un village pillé par les Allemands. Nous nous formons en ligne de tirailleurs. Les obus arrivent. La terre volait : des trous à enterrer un bœuf ! On les voyait venir : zzz… boum ! On avait presque le temps de se garer.

« Arrivés à la lisière du bois, nous partons en éclaireurs. On nous avait dit d’avancer. Mais va te faire fiche ! Ils nous avaient déjà repérés. L’artillerie faisait rage. Mon clairon, près de moi, est tué net ; il n’a pas dit une parole, le pauvre garçon ! Je suis blessé à la jambe. Il était environ deux heures. Comme je ne peux plus me traîner, un camarade, avant de partir, me cache sous trois bottes de paille et la tête sous mon sac. Les éclats d’obus l’ont tout déchiqueté, ce pauvre sac. Sans lui !… A dix mètres, un camarade qui avait la jambe cassée et un éclat d’obus dans le bras, reçoit encore sept ou huit blessures. Je suis resté toute la journée là. Le soir, des soldats du 101e me mettent sous le bois, où se trouvaient plusieurs blessés français et un capitaine allemand, blessé de la veille. Il souffrait, lui aussi, le pauvre malheureux.

« Vers minuit, des soldats français sont venus chercher ceux qui étaient transportables. Nous ne restons que mon camarade, moi et le capitaine allemand. Il y avait d’autres blessés plus loin, car nous entendions des plaintes. C’était lugubre.

« Nous passons là deux jours entiers sans aucun secours. Mercredi, vers les trois heures, voilà les Allemands qui arrivent. : Je dis : « Nous sommes perdus. » Il y en avait qui nous regardaient de travers. Mais le capitaine leur dit que nous avions été bons pour lui. Le premier soir, j’avais encore un peu de pain dans ma musette et de l’alcool de menthe ; on a partagé. Je ne pouvais pas lui donner à boire, on n’en avait pas.

« Le capitaine leur dit de nous soigner. Ils l’emportent et nous restons seuls ; mais bientôt ils reviennent. Un infirmier m’attache la jambe à un manche de pelle-bêche, parce que ça s’en allait de tous les côtés. Ils nous emportent un peu plus loin, sur une autre lisière du bois, à 15 ou 20 mètres de leurs batteries : comme d’ici au fond de la salle ; on les voyait tirer.

« Voilà qu’au bout de cinq minutes, l’artillerie française donne. C’est là encore qu’on s’est cru perdu ! Ça tombait ! Ça tombait ! Les Boches se sauvent et nous laissent tout seuls ; ils laissaient aussi.leurs canons. Une heure après, les pièces