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que la prospérité forestière des nations est la mesure de leur prévoyance.

Cette prospérité ne peut être que le fruit d’une politique forestière extrêmement prévoyante, dont les élémens sont peu connus du public, car les particularités de la propriété forestière, la formation et le caractère juridique de son capital en particulier, ont souvent déconcerté le législateur et l’économiste.

L’ancienne politique forestière, instituée en 1669 par l’Ordonnance de Colbert avec un caractère nettement coercitif, a cessé d’être appliquée quand la loi des 20 août et 27 septembre 1791 supprima toute surveillance de l’État dans les bois appartenant aux particuliers, et c’est seulement la loi du 2 juillet 1913, tendant à favoriser le reboisement, qui vient d’ouvrir une ère nouvelle en fixant la première assise d’une politique forestière libérale. Pendant plus de cent ans, les lois faites au jour le jour n’ont eu pour objet que les forêts domaniales, communales ou de montagnes, et les officiers des Eaux et Forêts n’ont pu qu’attendre l’effet de leurs bons exemples en déplorant la décadence des forêts privées, dont aucun organe administratif n’avait spécialement à connaître les intérêts et les doléances. Lorsqu’au milieu du XIXe siècle les conditions économiques furent universellement transformées par l’emploi de la vapeur, la sylviculture privée fut désorientée par l’avilissement des petits bois et le renchérissement des gros bois qui résultaient de cette transformation, et la sylviculture officielle n’était encore qu’une Régie financière. Les sylviculteurs, confondus parmi les agriculteurs, s’adressèrent d’abord aux organes agricoles, où dominait la préoccupation des récoltes annuelles, et les desiderata spéciaux aux récoltes périodiques y trouvèrent peu d’écho ; on s’explique ainsi comment les allocations budgétaires pour les dépenses forestières d’intérêt général ont pu subir une diminution de près d’un million, détaillée dans la Revue politique et parlementaire du 10 mars 1912, pendant une période de vingt-cinq ans (1887-1912), où les crédits du ministère de l’Agriculture étaient augmentés de 14 millions. Puis, après avoir vu longtemps leurs doléances ballottées entre les Eaux et Forêts, seuls dépositaires de la science forestière qui légalement ignoraient les forêts particulières, et les bureaux de l’Agriculture, plus éclairés sur les cultures annuelles que sur ces ardues questions, ils commencèrent, vers 1890, à se grouper dans des