Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA GUERRE VUE D’UNE AMBULANCE

II.[1]


18 septembre.

Toute la journée d’hier nous sont arrivés, pris à la gare de Villeneuve-Saint-Georges, des Anglais de la bataille de l’Aisne, la plupart blessés grièvement, les uns de la veille, les autres de trois, quatre et même cinq jours.

Ceux de l’après-midi faisaient bonne contenance. Soit à cause de la fièvre plus forte, soit pour avoir attendu plus longtemps, ceux qui sont venus à huit et surtout à onze heures du soir ne pouvaient rien tirer de leur grand courage qu’une stoïque résignation. Un, même, quand on lève son brancard, laisse échapper un cri qui nous fait frémir ; puis il ferme les yeux et se tait. On emporte d’abord les plus grièvement atteints, sans autre formalité que de prendre les noms sur leur médaille. Du reste, il y en a qui ne pourraient parler, ayant les dents, les lèvres, la mâchoire fracassées.

« Où êtes-vous blessé ? » interrogeons-nous, penchés sur les couvertures qui enveloppent ces pauvres corps sanglans : « Aux deux jambes et aux bras, » répond celui-ci. Un autre : « A la main, à la hanche, au pied. » Plusieurs montrent en silence leur gorge, leur tête, leur côté. Quelques-uns, pour toute réponse, soulèvent leur couverture, et l’on aperçoit de grosses taches noires entourées de rouges éclaboussures ; un pied, un mollet énormes, dont l’enflure parait davantage, au contraste de l’autre

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1914.