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a fait connaître dans de nombreuses publications, et notamment dans La Question des Montagnes depuis Cézanne (La Montagne, février 1912), que la dépopulation atteignait la même proportion du quart au cinquième dans les Alpes et le Plateau Central, la perte en habitans de nos cinquante départemens montagneux représente sensiblement dix fois la dépopulation des 161 479 montagnards enlevés à ces cinq départemens pyrénéens ; elle est d’environ 1 600 000 montagnards en un demi-siècle et dépasse ainsi le chiffre des 1 500 000 Alsaciens-Lorrains arrachés à la France en 1871.

Tous ces montagnards, sans doute, n’ont pas quitté la France pour l’étranger. Près de la moitié ne se sont pas complètement expatriés, et ont seulement émigré vers les villes où les guettaient la misère, la tuberculose et toutes les épidémies contre lesquelles l’air pur qu’ils sont habitués à respirer ne les avait pas mithridatisés. Si une moitié de ces citadins improvisés, un quart de l’ensemble déraciné, a pu survivre, c’est aux trois quarts des montagnards émigrés, à 1 200 000 Français, que peut être évaluée la dépopulation résultant de la dégradation pastorale.

Il est navrant d’avoir à constater la perte en un demi-siècle de 1 200 000 montagnards français, et l’on ne peut se dispenser d’envisager dans toutes ses conséquences cet affaiblissement de la Défense nationale.

Les 1 500 000 Alsaciens-Lorrains momentanément détachés de la France lui seront rendus par l’héroïsme de son armée et de ses alliés, tandis que les 1 200 000 montagnards enlevés à la mère-patrie en ont disparu pour toujours. Et nous ne saurions oublier que ces vaillantes populations de nos hautes vallées, avec leurs solides poumons et leurs jarrets d’acier, sont une incomparable pépinière de nos troupes alpines, qu’elles sont entraînées d’avance pour les campagnes d’hiver par de longs séjours annuels au milieu des neiges.

Non seulement leur disparition a creusé dans notre recrutement un sérieux déficit, mais ce déficit est périodique ; il doublera pendant le premier demi-siècle, triplera dans le suivant, et ira toujours s’aggravant ainsi, tant qu’on n’aura porté remède à la dégradation des montagnes. C’est la population de plus de deux départemens dont la Défense nationale s’appauvrira chaque demi-siècle, tant que la France n’aura pas résolu le grave