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sur le parvis de Saint-Pierre, un peuple sans nombre tend les yeux vers le balcon fatidique d’où va être jeté à la foule le nom de l’élu. Et soudain le balcon s’anime, les maîtres des cérémonies paraissent, la croix d’or à triple traverse brille aux regards, et l’on voit, dressée contre les balustres, la pourpre d’une robe cardinalice. C’est le « premier des diacres, » le cardinal Marini, qui vient pour publier la grande nouvelle. « Annunzio gaudium magnum, Papam habemus Eminentissimum et Reverendissimum Dominum Prosperum de Lambertini tituli Sanctæ Crucis in Hierusalem, qui sibi nomen imposuit Benedictus XIV. »

Cette fois, l’œuvre est bien accomplie, Benoît XIV attend l’hommage de la chrétienté. Il n’y a plus de conclave !…

Oui, le conclave était fini, et déjà l’on s’habituait à le croire éternel. Du 19 février au 17 août, six mois durant, il avait traîné sa lente carrière. Depuis la fin du grand schisme, on n’en avait pas vu de pareil. Son dénoûment aussi frappait les âmes. Deux grandes factions l’avaient déchiré, chacune trop faible pour vaincre ; et voici qu’elles avaient enfin mêlé leurs forces ennemies, qu’elles s’étaient ralliées sur le nom d’un homme soustrait à leurs influences, étranger à leurs calculs, ignorant tout de leurs intrigues et promettant, à leurs espérances rivales de domination, une ruine semblable. Une fois de plus, se justifiait le vieux proverbe romain : « Celui qui entre pape au conclave en sort cardinal ! »

Au lendemain de la mort de Clément XII, autour de son catafalque, il s’était produit toute une éclosion de prophéties et de conjectures ; une seule se trouvait réalisée, celle de l’abbé Certain, le modeste secrétaire de l’ambassadeur de France. « Ce sont presque toujours, écrivait-il le 7 février, des circonstances imprévues qui décident du choix des papes. Les arrangemens, les projets et les plans faits de longue date ont rarement leur effet. On bataille toujours sans pouvoir s’accorder ; enfin on se lasse d’être entre quatre murailles, la patience échappe, la santé s’affaiblit et par lassitude, par dégoût, par envie de sortir de prison, on se réunit à élire tel à qui on n’avait jamais pensé. » Or, durant les lenteurs du conclave, les faits en témoignent, on n’avait justement pas songé à Prosper Lambertini. Le coup de théâtre de son élection parut l’œuvre d’un hasard où n’entrait pour rien la prudence vulgaire des hommes.

Et puis Benoit XIV régna, et il s’acquit le renom d’un grand