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partisans d’Albani, eut raison de leurs derniers scrupules : dans la matinée du 16 août, ce prélat informa Tencin « que, si la faction d’Aldovrandi voulait voter pour Lambertini, le Pape serait fait le soir même. »

À cette offre, Tencin prêt à une oreille complaisante : une amitié de vingt ans le liait en effet à Prosper Lambertini. Tous deux s’étaient connus jadis à Rome : le premier, venu avec le cardinal de Rohan au conclave de Benoit XIII, était demeuré en Italie pour négocier la promotion de Dubois au cardinalat ; le second, modeste avocat consistorial, faisait alors au Vatican ses débuts dans la prélature. Les deux hommes s’étaient vite sentis attirés l’un vers l’autre : l’Italien, séduit par le génie souple, l’esprit brillant, la conversation enjouée du Français ; celui-ci, charmé par le causeur délicat, le fin lettré, le savant érudit, le docteur éclairé qu’était déjà l’abbé Lambertini. Depuis lors, les hasards de la vie les avaient presque toujours séparés, mais devenus archevêques, l’un d’Embrun, et l’autre de Bologne, les deux amis d’antan n’avaient jamais perdu l’occasion de se voir ou de s’écrire, et les six mois qu’ils venaient de vivre côte à côte dans le conclave n’avaient pas manqué de resserrer encore les liens de leur mutuelle affection.

Rendu tout joyeux par la proposition de Cibo, Tencin la communiqua aussitôt au parti Corsini, assemblé en toute hâte dans la cellule de Rohan. La plupart des cardinaux acceptèrent, d’un cœur léger, d’entrer dans une combinaison au bout de laquelle ils entrevoyaient la liberté ; mais Corsini « fut étourdi du coup : il lui était dur de sortir de sa faction. » Tencin lui remontra doucement que Lambertini, créé archevêque de Bologne par Clément XII, était, à ce titre, une « créature » de ce pape, et il se porta garant des sentimens que nourrissait ce cardinal à l’égard de la famille de ce même pontife. « Ebranlé et convaincu à demi, » Corsini demanda cependant quelques heures de réflexion. En lui-même, il espérait encore dans le scrutin de l’après-midi. Cibo avait-il agi à l’instigation ou à l’insu du camerlingue, et, dans ce dernier cas, celui-ci, se voyant trahi, ne se jetterait-il pas dans les bras d’Aldovrandi ? La proclamation du vote dissipa les dernières illusions de Corsini, et lorsque, vers le soir, Tencin entra dans la cellule de ce cardinal pour le prier « affectueusement de trouver avant l’aube les deux voix qui manquaient à Aldovrandi ou d’aller le lendemain de bonne grâce à