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lesquels ils étaient tenus d’agir de concert. » Consulté en premier lieu, Acquaviva déclara « qu’il suivrait l’exemple des cardinaux français. » La réponse était embarrassante. « Je lui repartis, écrit le 18 mai Tencin à Fleury, que mes instructions étaient muettes sur le compte de Gotti, parce que l’on n’avait pas imaginé en France qu’après un pontificat tel que celuy de Benoit XIII, on pût songer à un dominicain ; que Gotti n’avait ni naissance, ni expérience dans le gouvernement, ce qu’on n’aurait pas pu dire d’Orsini (Benoît XIII), dont la sainteté n’était pas moins bien reconnue que celle du candidat dont il s’agissait ; qu’au surplus, nous ne sçavions rien de ce qui pouvait regarder sa parenté, ses habitudes, etc. ; que son habit nous inspirait quelques craintes dans l’état présent de la religion en France. » Continuant sa tournée, Tencin trouva Giudice et Kollonitz « enclins à suivre Gotti. » L’Empereur, dirent-ils, voulait du bien à ce cardinal et partageait en cela les sentimens du roi de France qui « l’avait inscrit sur une liste de sujets papables envoyée de Paris à Vienne. »

Voulant à tout prix « ébranler leur conviction et les tourner contre Gotti, Tencin circonvint les deux prélats : il leur remontra « que la liste en question était déjà ancienne, » leur insinua « que l’Empereur ne retirerait aucun honneur de cette élection » et leur donna même à entendre qu’Acquaviva en était le principal artisan ! Tant d’audace réussit : Giudice et Kollonitz promirent « de ne pas s’engager pour Gotti, tant que celui-ci n’aurait pas vingt-sept ou vingt-huit suffrages assurés. » Ce chiffre ne pouvait être atteint sans les voix françaises et autrichiennes. Tencin était donc tranquille ; « il y a apparence que cette négociation n’ira pas plus loin, » confessait-il à Fleury, après lui avoir narré toutes les péripéties de cette candidature mort-née.

En agissant ainsi, Tencin n’avait pas seulement ruiné les desseins du camerlingue : il avait par contre-coup servi les intérêts de Corsini « en resserrant autour de lui l’alliance des couronnes. » Pour profiter de cet avantage, le neveu de Clément XII résolut de « proposer » sans délai son compatriote et ami Delci ; mais, patron trop souvent malheureux, il chargea Tencin de faire la campagne et d’assurer à son candidat l’appoint des suffrages espagnols et autrichiens. En premier lieu, le prélat français pressentit Giudice et Kollonitz : c’étaient les plus incertains.