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Giudice. La cour de Versailles souhaitait en effet que les cardinaux français liassent partie avec leurs confrères d’Espagne et d’Autriche « afin de les déterminer à la faction Corsini. » Fidèle observateur de ces instructions, Rohan voulait donc, et dès son arrivée, s’aboucher avec les protecteurs de ces deux couronnes, et convenir avec eux de la tactique à suivre dans les scrutins futurs. En premier lieu, parmi les candidatures possibles, quelles étaient celles qui déplaisaient à Madrid ou à Vienne ? À cette question précise de Rohan, Giudice répondit sans détours que, dans le Sacré Collège, Ruffo lui paraissait le seul cardinal contre lequel l’Empereur fût prévenu. Acquaviva fut loin d’avoir la même franchise : exaspéré par l’exclusion donnée ainsi à son compatriote chéri, il se refusa nettement à indiquer de prime abord les répugnances du Roi Catholique. Celles-ci, dit-il en résumé, se manifesteront plus tard : d’ailleurs, quel que soit le nouveau pape, il dépendra de l’Espagne, « la cour de Madrid ayant un moyen sûr de mettre celle de Rome à la raison, qui est de fermer la datterie. » Et Tencin, en rapportant à Fleury les propos de l’archevêque de Monreale, concluait avec mélancolie : « S’il ne vient rien de la cour d’Espagne pour contenir un peu la fougue de ce cardinal, il est bien à craindre que nous ne voyions de fâcheuses scènes et que notre prison ne se prolonge à l’excès. » La violente sortie d’Acquaviva mit fin à la conférence. Restés seuls, Tencin et Rohan, après avoir hésité longtemps, convinrent d’engager Corsini à offrir encore une fois la bataille et à présenter « une de ses créatures. » Ainsi l’on connaîtrait exactement les forces de chaque faction et, devant l’insistance de ses adversaires, le camerlingue se déciderait peut-être à quitter sa réserve et à proposer, à son tour, quelqu’un de ses partisans. Misérable solution, en vérité, mais l’attitude équivoque d’Acquaviva ne l’imposait-elle pas ?

Docile aux conseils du cardinal de Rohan, Corsini se mit aussitôt en quête d’un candidat et, au premier scrutin, il « déclara » Massei. Ce choix ne semblait guère indiqué : ce même prélat, l’on s’en souvient, avait, trois semaines auparavant, affronté sans succès le vote du Sacré Collège. Ses « éminentissimes électeurs » lui surent mauvais gré de sa persévérance, et douze voix seulement « vinrent le récompenser de sa récidive. » Pleinement édifié, Rohan suggéra là-dessus à