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musiciens et surtout en femmes et en enfans qu’il a eus en grand nombre et qu’il a été obligé de faire élever et d’établir. Alexandre VIII, son grand-oncle, le laissa avec 55 000 écus romains de revenu, 200 000 écus d’argent comptant et un palais tout meublé. Il avait eu, depuis, plusieurs bénéfices dans l’Etat ecclésiastique et dans celuy de Venise, la protection de France avec trois grosses abbayes dans le royaume qui luy rendaient 140 000 livres de rente. Il avait vendu, il y a longtemps, les propines de la protection de France au feu prince Vaini… ; il avait vendu aussi à Giraud, banquier, une partie des revenus de la Chancellerie et s’était démis d’une abbaye de 60 000 livres de rente dans le Milanais en faveur du fils d’un banquier de Milan, pour s’acquitter envers luy des sommes immenses qu’il luy devait. » Et, à en croire le même abbé Certain, Ottoboni n’avait même pas eu la convenance de servir les intérêts de la France qui l’avait comblé de bienfaits. « Dans le cours des affaires qui se présentaient, si on avait besoin de luy, il disait qu’il était obligé de garder des ménagemens, tantôt comme cardinal, tantôt comme préfet du Saint-Office, tantôt comme chancelier : on ne le trouvait qu’avec ces qualités et jamais avec celle de protecteur de France. »

Quoi qu’il en fût, les cardinaux, amis ou ennemis d’Otto-boni, se montrèrent également sensibles à la soudaineté tragique de sa fin, et nombre d’entre eux firent mauvaise figure à Corsini pour avoir été la cause première de sa mort. Saisissant aux cheveux l’occasion offerte, Albani ne négligea rien pour perdre le neveu de Clément XII dans l’esprit de ses confrères. Médisances et calomnies ne coûtaient rien au camerlingue : il en usa largement et ses insinuations les plus perfides, venues à l’heure propice, trouvèrent une facile créance. Corsini vit bien d’où partait le coup, mais, jugeant que cette cabale, montée par surprise, tomberait d’elle-même, il dédaigna de la combattre et résolut d’attendre en paix des jours meilleurs. On l’évitait : pourquoi s’imposerait-il ? Force serait aux plus obstinés de se tourner tôt ou tard vers lui et de le venir chercher dans sa tour d’ivoire. Et, de fait, il se retira dans sa cellule. On ne l’en vit plus sortir qu’à l’heure des scrutins, où il descendait trôner à la Sixtine, simple spectateur dans l’assemblée.

En ces jours-là, rien ne rompit, en effet, la monotonie du conclave. Le cardinal Giudice attendait du renfort dans la