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bienfaisante prolongeait les loisirs des cardinaux. D’aucuns, sans avoir de respect pour l’âge, ni d’égards pour la mine défaite de leur confrère, virent là un jeu diplomatique. Et l’on peut admettre qu’ils avaient raison en quelque manière, car jamais courbature ne fut plus diplomatiquement employée. Tandis que Giudice reposait ses membres las, son esprit demeurait actif et, tout le jour durant, les cardinaux qui se succédaient charitablement au chevet du malade furent dûment interrogés et chapitrés par lui. De leur côté, les chefs de faction profitèrent aussi de ce délai fortuit pour reprendre en main leurs partisans et les prémunir contre le danger des votes fantaisistes qui risquaient, on venait de le voir, d’amener des surprises parfois irréparables.

Le 26 février, Giudice put descendre dans la chapelle Sixtine et le scrutin se rouvrit. Corsini, reprenant encore l’initiative des propositions, posa la candidature de Spinola. Ce Génois, à cinquante-huit ans, avait déjà derrière lui une longue et brillante carrière. Gouverneur de Rome, il avait fait merveille dans cette charge, et son indulgente fermeté lui avait gagné le cœur du peuple. Légat de Bologne, il n’avait pas moins bien réussi : c’était pourtant un poste difficile. A la tête d’une province ravagée sans cesse par le passage des troupes françaises, espagnoles ou impériales, Spinola avait su défendre les droits de ses administrés et n’avait pas craint d’aller, jusque dans les camps, réclamer des généraux ennemis restitutions ou indemnités. « C’est un excellent sujet, infiniment sage et prudent, d’un jugement admirable, » lit-on dans un mémoire envoyé de Rome à Paris à la mort de Clément XII. Le Sacré Collège ne partagea point cet avis : au dépouillement du vote, l’on vit que tant de mérite n’avait eu que treize partisans ! On ne passa même pas à l’accès. Dévorant ce nouvel affront, Corsini, d’une voix blanche, déclara « que, devant l’indécision de l’assemblée, il préférait surseoir à un second scrutin sur le cardinal Spinola. » Un silence approbateur accueillit cette résolution.

Après quelques momens d’attente, faute de nouveaux candidats, le camerlingue leva la séance. Les cardinaux sortirent de la Sixtine, « les uns ayant des mines allongées et les autres marquant de l’humeur ou même s’évaporant en injures. » Nonobstant ce tumulte, Corsini arrêta au passage Ottoboni, Giudice et Acquaviva, respectivement protecteurs de France, d’Empire et d’Espagne, et les pria de venir le rejoindre dans la