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UN CONCLAVE DE SIX MOIS
AU MILIEU DU XVIIIe SIÈCLE
ET SON RÉSULTAT IMPRÉVU

L’ÉLECTION DE BENOIT XIV (FÉVRIER-AOÛT 1740)

Le conclave qui s’ouvrit à la mort de Clément XII et d’où Benoît XIV sortit pape, fut le plus long qu’eussent à enregistrer les annales ecclésiastiques depuis la fin du Grand Schisme. Durant six longs mois, le Sacré Collège ne put s’accorder, partagé qu’il était en deux factions équivalentes et rivales. Dans l’un et l’autre camp, ce furent les influences étrangères qui prévalurent le plus souvent : Cardinaux français, espagnols et autrichiens s’employèrent à favoriser ou à empêcher l’élection de tel ou tel de leurs confrères, selon qu’ils le croyaient disposé à servir ou à contrarier la politique de leurs souverains respectifs. Dans un pareil conflit, la préoccupation religieuse semble si vague, si lointaine, qu’on serait porté tout d’abord à le déplorer et à regretter même qu’on en exhumât le souvenir. Il faut se garder de cette impression. Depuis plus de mille ans, en effet, à la mort de chaque pape, les princes se sont toujours efforcés d’assurer le trône pontifical à ceux qui, dans le Sacré Collège, tenaient leur parti : cette compétition séculaire n’est-elle pas une preuve manifeste, un témoignage éclatant de la vitalité et de la prééminence de la papauté ? Qu’ils fussent les faibles seigneurs de la seule ville de Rome ou les souverains absolus des vastes États de l’Église, qu’ils fussent couronnés avec magnificence dans la Ville Éternelle, ou proclamés furtivement dans quelque bourgade de la campagne, qu’ils soient enfin, comme aujourd’hui, emprisonnés et sans défense, les Successeurs de saint Pierre n’ont jamais ceint la tiare sans que la chrétienté tout