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en France, en Belgique, en Angleterre, en Russie, on ne saurait mettre en doute qu’en Tunisie, elle a use des mêmes procédés et que, là comme ailleurs, elle a jalonné les chemins qu’elle jugeait les plus rapides et les plus pratiques pour arriver à son but. À Tunis, au début de la guerre, on arrêta une demi-douzaine d’Allemands établis depuis longtemps dans cette ville et notamment deux photographes associés pour l’exploitation de leur industrie. Leurs promenades professionnelles leur avaient rendu familier tout le pays tunisien jusque dans ses coins les plus reculés, ses villes, ses villages, ses sites, ses montagnes, ce qui, vu leur nationalité, autorisait à croire que leur métier apparent s’était doublé d’un autre moins honorable, qu’ils avaient travaillé pour l’état-major de Berlin et qu’en un mot, ils méritaient les soupçons dont ils étaient l’objet. Ils ont été internés dans une localité africaine et leurs familles invitées à quitter la Tunisie.

Pour justifier cette accusation d’espionnage, il suffit de rappeler l’invasion d’Allemands dont ce pays était tous les ans le théâtre au printemps et en automne. Favorisée par sa beauté naturelle, par le désir commun aux Français et aux indigènes d’en accroître la prospérité en y attirant de riches étrangers, encouragée surtout par notre courtoisie proverbiale et par notre excès de confiance, cette invasion était devenue périodique et, tantôt en bandes d’excursionnistes, tantôt en groupes de savans, d’artistes, d’amateurs d’antiquités, l’Allemagne versait en Tunisie de nombreux voyageurs. Le tourisme, les recherches documentaires sur l’histoire et l’archéologie, le désir de voir du pays, d’observer les mœurs arabes, étaient de bons prétextes pour donner à cette affluence un caractère inoffensif. Mais, maintenant que les coutumes germaniques ne sont plus un secret pour nous, comment admettre que, parmi ces touristes, n’opéraient pas des espions qui observaient tout, questionnaient surtout, prenaient note de tout et, s’ils se flattaient d’avoir gagné ici ou là, par leurs propos ou leurs libéralités, la confiance des indigènes, s’efforçaient de les détacher de la France ?

J’ai reçu à cet égard de personnes sages et pondérées des confidences significatives, comme si la guerre actuelle, en évoquant dans leur mémoire le souvenir de choses vues et entendues et trop promptement oubliées, avait subitement ouvert leurs yeux sur la perfidie des tentatives de nos ennemis