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L’ALSACE FRANÇAISE.

mais encore les notions les plus élémentaires du droit et de la justice.

Pour faire comprendre la naissance et le développement du pangermanisme, il faudrait faire l’histoire de la mentalité allemande de Frédéric II à Bismarck et de Bismarck à Guillaume II. Le premier a fondé la grandeur de l’État prussien ; le second a créé l’unité allemande ; le troisième incarne l’impérialisme germanique et son rêve de domination universelle. Ce n’est pas ici le lieu de faire cette étude, mais trois paroles de ces trois illustres personnages, qui sont devenus les idoles des Allemands d’aujourd’hui, les caporaux d’après lesquels ils se sanglent et se dressent pour parader devant l’univers, peuvent résumer ce développement. Frédéric II a dit : « Un souverain n’est tenu à être honnête que lorsqu’il le peut sans se nuire. Dès que son intérêt l’exige, la fourberie devient son devoir. » Bismarck élargit le principe : « Là, dit-il, où la puissance de la Prusse est en jeu, je ne connais plus de loi. » Guillaume II conclut : « Pour moi, l’humanité finit aux Vosges. » Voilà le virus prussien dans toute sa candeur et dans toute sa beauté. Par quelle colossale aberration d’esprit, par quelle ivresse de la force brutale, par quel délire de servilité une nation, qui passait jadis pour un peuple de penseurs, en est-elle arrivée à s’assimiler ces maximes, à les faire passer dans son sang jusqu’à se croire le peuple unique, le peuple élu, la nation cultivée par excellence (Vollkulturvolk), le peuple-Dieu, dont tous les autres ne pourront être que les très humbles serviteurs ? Je renvoie ceux que trouble cette énigme à la lettre récente de M. Émile Boutroux sur l’Allemagne et la guerre[1]. Dans cet admirable exposé, le savant philosophe a fait, avec une merveilleuse pénétration, la métaphysique du pangermanisme, dont le bouillon de culture est un fond de grossièreté et d’envie. Je ne veux ici que signaler l’attitude de cette mentalité monstrueuse vis-à-vis du mouvement autonomiste en Alsace.

Convaincu de la force militaire écrasante de l’Allemagne, les pangermanistes avaient souri des protestataires alsaciens comme d’un platonisme impuissant. Dans les autonomistes, qui se plaçaient sur le terrain constitutionnel, ils virent un danger sérieux. C’était un centre de groupement, un noyau d’opposition future.

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1914.