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rité morale et intellectuelle de la race germanique est le dogme fondamental de l’enseignement en Allemagne. De ce dogme on dérive le droit du peuple allemand à dominer, à exploiter à son profit ou à exterminer tous les peuples de la terre, pour régner en maître sur le monde. Mais, quand on va au fond de cette supériorité, douée d’un si féroce appétit, on voit qu’elle se fonde uniquement sur le culte du sabre et du canon. Car l’idéal humanitaire des grands Allemands d’autrefois, de ceux qui comptent dans l’histoire de la pensée et de l’art, n’y est pour rien, et, lorsque les pangermanistes triomphans daignent les invoquer encore, c’est uniquement pour les ravaler à leur médiocre niveau et tenter de les englober ainsi dans leur grossier matérialisme. Le triomphe apparent de la force brutale a enivré l’Allemagne depuis l’ère de Bismarck. Parce qu’elle lui a donné depuis quarante ans l’hégémonie de l’Europe, elle est persuadée qu’elle lui vaudra l’empire du monde. Aussi l’Allemagne n’a-t-elle plus d’autre Dieu que le canon et le considère-t-elle comme l’arbitre suprême des nations. « La Prusse, a dit Mirabeau, n’est pas un peuple qui a une armée, c’est une armée qui a un peuple. » Aujourd’hui, il n’y a plus d’Allemagne, il n’y a plus qu’une Prusse énorme, avide, insatiable, dont la voracité augmente à mesure qu’elle s’agrandit. Parce que ce Moloch a englouti ce peuple, les autres se laisseront-ils manger par lui ?

Passons à l’autre camp. Il se compose de tous ceux qui se révoltent contre le culte de la force brutale et contre sa domination meurtrière des âmes et des nations. Ici, l’on croit à la Liberté, à la Justice et au Droit. On les vénère comme les gardiens incorruptibles qui veillent au palladium de la civilisation. Voilà les Dieux qu’invoquent ces peuples, voilà le trésor pour lequel ils se battent. Le passé a connu des luttes semblables, mais, ici, un fait nouveau s’est produit. Pour la première fois, les nations, qui veulent la liberté pour elles-mêmes et les autres, ont osé affirmer qu’en prenant les armes et en se liguant contre d’iniques oppresseurs, elles ont pour but non des conquêtes matérielles, mais l’établissement de la véritable fraternité humaine. Chose merveilleuse, dès que, sous le coup de foudre d’une menace mortelle, elles eurent pris cette résolution, elles sentirent, comme par un influx d’en haut, qu’elles venaient de conclure un pacte plus indissoluble que tous les traités écrits et que ce pacte sacré contenait le gage de la victoire finale. Car