Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je connus des situations émouvantes : un veuf obligé d’abandonner ses quatre petits enfans ; d’autres, où le résultat de quinze ou vingt ans d’efforts était non seulement compromis, mais ruiné d’un coup. Aucune récrimination ne s’éleva. L’empressement alla même trop loin, puisque des Missionnaires de la Corée s’embarquèrent qui, trois semaines plus tard, à Hong-Kong, furent reconnus impropres au service par le médecin compétent du Dupleix.

Peut-être y aurait-il quelque tempérament à introduire dans un système dont la rigueur est indispensable en France, mais qui, sans dommage pour le pays, pourrait être plus flexible, lorsque ceux qu’il touche atteignent ou dépassent la quarantaine, représentent des intérêts français, et sont éloignés de la mère patrie par cinquante jours de traversée. Je crois aussi, puisque j’effleure cette question, qu’il serait bon de tenir compte, dans le choix des destinations, de l’esprit du peuple où résident nos nationaux. Il importait peu qu’on envoyât nos Missionnaires du Japon et de la Corée en Chine, en Indo-Chine ou en France. Non seulement les Japonais, bien qu’ils n’enrôlent pas leurs bonzes, comprennent cette nécessité patriotique ; mais on peut assurer que le départ de nos prêtres pour l’armée a rehaussé leur prestige aux yeux de cette nation militaire. Les chrétiens japonais ont été fiers que leur « Père » courût à la défense de son pays ; et les autres n’en ont conçu que plus de respect envers la France. L’effet n’a pas été le même en Chine, lorsque nos Missionnaires se sont dirigés sur Tien Tsin : les Chinois ne font aucun cas du guerrier et n’aiment point avoir chez eux de soldats européens…

Les réservistes allemands étaient tous, les uns après les autres, enfournés dans la gueule de Tsing-Tao. On annonçait que les Japonais se proposaient d’intervenir, que leurs arsenaux travaillaient jour et nuit et que cette forte position, où l’Allemagne avait dépensé des sommes considérables et avait déjà réalisé un symbole de sa puissance, tomberait bientôt entre leurs mains. Les malheureux y allaient sans ardeur, comme s’ils avaient entendu ce que disait, à ce moment-là, aux gens de Shanghaï, un des leurs qui en revenait : « On peut faire un signe de croix sur tous ceux qui y sont : notre Kaiser les a indignement sacrifiés. »