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Les derniers soirs de mon séjour à Séoul, nous nous rendions à la gare, au passage de l’express de Moukden. Des compatriotes, des amis, refoulés de Mandchourie par la guerre, revenaient en toute hâte au Japon et nous télégraphiaient pour avoir des nouvelles, et pour échanger, pendant les quinze minutes d’arrêt, quelques paroles françaises. Les Allemands devaient en faire autant, car nous y rencontrions d’ordinaire le consul d’Allemagne.

Les trains japonais arrivent et repartent avec une ponctualité surprenante. Les voyageurs sautaient sur le quai et formaient rapidement deux groupes. Les Autrichiens, les Allemands, des Américains se pressaient autour du Teuton ; les Français et quelques Anglais autour de nous. De vagues Levantins couraient de l’un à l’autre. Comme l’express qui monte à Moukden part un quart d’heure environ après celui qui en descend, il y avait aussi des Russes à qui leur consul et leur pope venaient serrer la main. Les Japonais se portaient en grand nombre à ce spectacle où leur humeur guerrière flairait une odeur lointaine des champs de bataille. Les trains disparus, nous sortions de la gare. La foule des hommes vêtus de blanc, plus blancs encore sous la lumière électrique, et des femmes au kimono sombre, mais à la ceinture diaprée, s’écartait devant nous et nous suivait du regard. Le consul russe et le pope, que nous avions salués, s’en allaient les premiers. Derrière eux, le consul d’Allemagne s’avançait pesamment, escorté de son Bolljahn, qui se dépensait en gesticulations et semblait lui faire avec ses bras un moulinet protecteur. Nous fermions la marche. Et nous rentrions dans La ville aux lourdes portes chinoises, si fantasques le soir. Le silence s’étendait sur la grande avenue qui mène au palais en ruines, où la Reine fut assassinée. Mais l’intérêt de tout cet exotisme s’était éteint pour nous comme un feu de bengale dans une tempête.

Puis ce fut le départ des premiers réservistes, la foule japonaise encore plus nombreuse, et des Banzai ! mariés aux cris de Vive la France ! On les envoyait à Simonoseki où L’Amazone les attendait. La mobilisation s’était faite sans peine. Ceux mêmes qu’elle lésait douloureusement n’avaient point hésité.