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pas un français ni même traduit du français. Enfin, des Bénédictins allemands ont ouvert une école professionnelle. Mgr  Mutel, pour les mêmes raisons qui préoccupent les Marianites de Tôkyô, s’est résigné, en désespoir de cause et la mort dans l’âme, à recevoir ces Teutons qui, du reste, ne doivent enseigner que dans la langue coréenne ou japonaise. Quelques Anglais et quelques Américains, agens des mines, composent la colonie anglo-saxonne laïque. Mais les Missions américaines sont très riches et si actives, qu’elles ont à plusieurs reprises inquiété le gouvernement japonais, qui les accuse d’avoir excité les Coréens à la résistance comme elles avaient poussé les Chinois à l’insurrection.

Le coup de foudre de la guerre éclaira très diversement les physionomies de cette petite colonie européenne. Chez les Français je remarquai le même sentiment de délivrance que j’avais éprouvé. On acceptait résolument une calamité que chacun, au fond de soi-même, jugeait inévitable, et on l’envisageait avec confiance. Il n’en fut pas ainsi du côté des Allemands : ils parurent décontenancés ou ils plastronnèrent. Le hasard faisait passer sous mes yeux de petits tableaux où s’opposait, de la manière la plus vive, l’impression des deux races. Le 3 août au matin, le jeune chancelier du consulat français vint à bicyclette nous annoncer la mobilisation générale. Il était ému, un peu pâle, avec de la fièvre dans les yeux. Mais, bien que, pour partir, il fût obligé de vendre ses meubles et qu’il dût renoncer à des études qui le passionnaient, il respirait le beau contentement d’une jeunesse dont l’heure a enfin sonné. Au même moment, un Allemand de son âge, envoyé en Corée par une maison de commerce et descendu depuis quelques jours à l’hôtel, sortait de sa chambre, les yeux rouges, les traits battus, gémissant sur la débandade de ses bénéfices escomptés.

Le même matin, j’aperçus, dans la galerie vitrée de l’hôtel, un énorme dos rond courbé sur le registre des arrivées. C’était le consul allemand qui, le chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, relevait les noms de ses nationaux. Cela fait, la moustache en croc, de gros yeux farouches dans sa tête bismarckienne, il se promena de long en large, d’un pas lourd, dévisageant les étrangers, comme si la maison lui appartenait. Il était réputé à Séoul pour la vigueur et la sûreté de ses impairs. C’est lui qui,