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La question militaire était la plus urgente.

Absorbé dans les vaines querelles de la politique électorale, le Parlement belge avait toujours montré une certaine mauvaise volonté à examiner le problème de la Défense nationale. Le parti conservateur qui détenait le pouvoir, s’appuyant sur les campagnes toujours hostiles aux charges militaires, préféra longtemps, en dépit des apparences, croire à la bonne foi et à l’amitié de l’Allemagne plutôt que d’imposer à la nation les sacrifices nécessaires à sa sécurité. Ce sera l’éternel honneur de M. de Broqueville d’avoir su persuader sa majorité de la nécessité d’une réforme qui permit l’héroïque résistance de la Belgique à laquelle nous venons d’assister. Mais, dans cette œuvre difficile, le ministre n’aurait probablement pas abouti, s’il n’avait été soutenu, avec un zèle à la fois actif et discret, par le Roi.

La question des langues et des races n’était peut-être pas moins inquiétante. Au moment où l’agression allemande l’a en quelque sorte balayée de l’histoire, la querelle des Flamands et des Wallons prenait une dangereuse âpreté. En tout cas, elle arrêtait l’unification morale de la nation. Avant le formidable ouragan qui, en fondant sur le pays, a fait plus en une heure que quatre-vingts ans d’efforts, les Belges, on peut le dire aujourd’hui, puisque c’est le passé, n’étaient pas bien sûrs d’avoir une nationalité véritable. Le sentiment national, ou mieux la conscience nationale était encore un peu confuse pour beaucoup d’entre eux. Le peuple s’élevait difficilement au-dessus de l’esprit de clocher. Les classes cultivées, cherchant à soutenir leur patriotisme par une culture qui leur fût propre, tentaient de le rattacher à diverses doctrines plus ou moins artificielles, soit qu’elles voulussent expliquer le fait belge contemporain par l’ingénieuse théorie de l’historien Henri Pirenne, qui voit dans les Pays-Bas flamands et wallons une sorte de synchrétisme éternel où se rencontrent en un heureux amalgame les civilisations française et germanique, soit qu’avec un réalisme un peu étroit, elles admissent que les avantages économiques dont Flamands et Wallons bénéficient à vivre ensemble, étaient suffisans pour constituer les élémens d’une sorte de patriotisme mercantile, analogue au sentiment qui unit les associés d’une firme commerciale en pleine prospérité.

Ces idées, si habilement défendues qu’elles fussent, ne