Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré son souci de correction constitutionnelle, il ne chercha pas à les renier après être monté sur le trône. Quand on ne descend pas à l’application, ces idées sont d’ailleurs de celles qu’on peut accorder avec presque tous les programmes politiques. Sauf dans les partis extrêmes, y a-t-il un parlementaire qui se refuse à admettre l’antique formule : conservation par le progrès ?

Mais chez le prince, ce n’était pas seulement une formule, et le Roi sut bientôt le faire voir, non par des actes politiques qui eussent dépassé ses fonctions, mais par son attitude, son genre de vie, le choix de ceux de ses collaborateurs qu’il avait le droit de choisir. Certes, parmi les grands officiers de la couronne, il y a des représentans de la plus haute aristocratie belge, tels que le comte Jean de Mérode, le comte d’Arschot-Schonhoven, le comte Renaud de Briey ; mais parmi ceux qui devaient l’approcher de plus près, il y a aussi des hommes d’origine beaucoup plus modeste dont il avait apprécié comme prince le mérite et le dévouement. Dès les premiers mois du règne, il apparut que la jeune Cour serait extrêmement simple d’allures. La Reine et le Roi s’entendaient pour réduire l’étiquette au minimum ; ils recevaient tout seul à leur table le poète Emile Verhaeren pour qui la Reine avait une admiration particulière et le conviaient à passer plusieurs jours de villégiature au château des Amerois, dans les Ardennes, où il était traité en ami. Mais ces traits et d’autres encore, tout en accentuant l’esprit bienveillant de la famille royale, ne faisaient-ils pas plutôt prévoir un règne à la fois aimable et sérieux, qu’un effort éclatant vers de plus hautes destinées nationales ? Certes, la protection délicate et intelligente que] la Reine accordait aux artistes et l’intérêt que les deux jeunes souverains manifestaient à tous les gens de lettres de quelque notoriété, montrent qu’à leur sentiment il ne suffisait pas à la Belgique d’être riche et prospère, mais qu’elle devait aussi s’élever à cette culture intellectuelle, sans laquelle il n’est pas de grand peuple. Tout cela cependant n’est que l’accompagnement, et non l’essentiel d’un grand règne.

Certains graves problèmes se posaient. Si la guerre leur a donné une solution imprévue et brutale, c’est une raison de plus pour tenir compte au Roi du soin avec lequel il les examinait, pour les résoudre avec le plus de ménagemens, mais avec le plus d’efficacité possible.