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prussienne se trouve, une fois de plus, entièrement dégagé de toute attache avec l’Allemagne : mais le ton même dont il nous parle de ses chefs, collègues, et subordonnés de la veille suffirait à nous attester qu’à l’opposé du capitaine Pommer, il en a conservé le meilleur souvenir.

Aussi ne lui en coûte-t-il nullement d’exprimer, devant nous, son admiration pour le vaste et puissant appareil militaire qu’il a entrepris de nous faire connaître « du dedans, » tel qu’il a eu lui-même, par deux fois, l’occasion de l’étudier. L’éloge se mêle sans cesse au blâme, dans les divers chapitres de son excellent petit livre, modèle parfait de fine sagesse, d’ironie souriante, et de modération. Mais d’autant plus nous éprouvons de surprise tout ensemble et de plaisir à constater que, sur presque tous les points, ce livre éminemment « équitable » confirme les doléances du capitaine Pommer. L’écrivain anglais ne se fait pas faute de nous recommander, dans l’organisation et dans le fonctionnement de l’armée allemande, un bon nombre de qualités que semblait ignorer le capitaine prussien : mais sur les faiblesses, les lacunes, et les vices de l’armée allemande, l’accord des deux critiques est à peu près constant. Tout de même que le capitaine Pommer, son collègue d’hier nous représente officiers et soldats d’outre-Rhin comme accablés sous le poids « déprimant » de leur servitude ; il nous décrit l’influence scandaleuse du « favoritisme, » avec tout ce qu’elle implique de dangers « professionnels ; » et surtout il met en relief la décadence continue de l’ancienne vie militaire allemande. A l’exception d’un chapitre dont je vais parler tout à l’heure, il n’y a pas une des diverses parties de son étude où il ne nous raconte de quelle façon il a été amené à se rendre compte d’un changement fâcheux survenu dans tel ou tel ordre de choses, lorsque naguère, à son retour des Indes, il a repris contact avec l’armée allemande. Oui, décidément, cette armée a suivi le courant qui entraînait autour d’elle tous les autres modes de la vie nationale. Là aussi, comme dans la science et dans l’art, comme dans les mœurs publiques et privées, l’ « héritage » des victoires de 1870 s’est trouvé trop lourd pour les épaules allemandes. Jusque dans cette industrie vraiment « nationale » qu’a été depuis longtemps pour l’Allemagne la pratique de la guerre, les compatriotes da capitaine Pommer portent la peine d’avoir voulu marcher trop vite, et de s’être trop abandonnés à leur aveugle orgueil !


Je disais cependant qu’il y avait un certain mode de la vie militaire allemande qui, aux yeux du critique anglais, n’avait jamais cessé de se