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que de Montaigne à La Fontaine et de Boileau à Voltaire, nous avons eu des ancêtres qui mêlaient à beaucoup d’esprit beaucoup de bon sens ? Nous détestons l’exagération, l’emphase et ce qu’on désigne aujourd’hui du nom de bluff  : c’est que le premier trait de notre littérature est la simplicité. Nous sommes inaptes au mensonge : c’est que notre langue, la plus claire qui ait résonné aux oreilles des hommes, ne se prête pas à l’obscurité et aux détours de la traîtrise. Nous sommes humains : c’est que de Platon et de Cicéron aux maîtres de la pensée chrétienne, les maximes qu’on a toujours offertes à notre méditation sont des maximes de haute sagesse et de honte. Ainsi la France a inventé la culture française ; et, en retour, elle est devenue, grâce à cette culture, la plus belle et la plus douce France.

Donc, rendez-nous un enseignement de culture française, vous tous de qui dépendent les destinées de notre enseignement ! C’est ici une requête et, si l’on veut, une supplique. Je l’adresse à M. le ministre de l’Instruction publique, à MM. les directeurs de l’enseignement, à MM. les membres du Conseil supérieur, à MM. les professeurs de la Sorbonne et à quelques autres. Si vous vous êtes trompés, comme je le crois, je vous sais l’âme assez haut placée pour reconnaître votre erreur. Se tromper est humain, persévérer dans son erreur est la seule faute impardonnable. Rendez-nous notre enseignement traditionnel ! Remettez les jeunes Français en communion avec les plus beaux esprits de tous les temps ! Rapprenez-leur les vers sublimes, et les fameux morceaux d’éloquence, et les brillans récits d’histoire ! Rouvrez pour eux les sources de l’imagination et de l’enthousiasme ! Délivrez-nous de l’enseignement pédantesque, médiocre et amorphe à l’allemande ! Rendez-nous l’enseignement de clarté, de noblesse et de beauté, à la française ! Rendez-nous tout ce qui a fait de nous un peuple éveillé et vif, ingénieux et gai, inventif et généreux ! L’opinion française vous en saura gré. Elle n’attend pas moins de votre patriotisme, qu’elle connaît, et sur lequel elle compte plus que jamais.


RENE DOUMIC.