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auditoire le frisson qui vient de l’angoisse d’un Pascal ou de l’éloquence d’un Bossuet, cela n’est pas scientifique ; mais faire l’histoire du texte de ces auteurs, c’est œuvre de science. Comme si ce mot de science avait ici rien à faire ! Et comme si ce n’était pas une pitié d’appliquer le même mot à un stérile labeur de compilation et aux travaux d’où sont sorties les découvertes d’un Claude Bernard, d’un Pasteur ou d’un Berthelot !

Sous le couvert de cette étiquette fallacieuse, ce qui s’introduisait chez nous c’étaient des procédés de travail qui ne sont pas de chez nous. Patience, méthode, application, lourdeur, nous les voyons aujourd’hui à l’œuvre, et nous savons de quel esprit elles sont les caractéristiques : ce n’est pas l’esprit français. Ingéniosité, initiative, création personnelle, voilà nos qualités distinctives. Nous les avons humiliées devant la manière allemande et nous étions en train de les sacrifier. L’erreur remonte loin, puisque déjà, dans l’Avenir de la Science, Renan, à vingt-cinq ans, faisait cette confusion entre le germanisme et la science. Renan est tout plein de la pensée allemande. Le mouvement s’accentua et se précipita au lendemain de nos désastres de 1870. Un mot circula : c’est l’instituteur allemand qui nous a vaincus. La Realschule fut à la mode. On exalta l’Université allemande et ses séminaires aux dépens de nos classes et de nos cours. Nous fûmes envahis par l’érudition allemande, conquis par la philologie allemande, soumis par le gymnase allemand. Ce fut une pédagogie de défaite. Nul espoir d’en secouer le joug, tant que nous resterions courbés sous les souvenirs de l’année terrible. Aujourd’hui dans une atmosphère devenue meilleure, l’antagonisme des deux cultures nous apparaît. Dans un livre d’avant-garde, l’Esprit de la Nouvelle Sorbonne, deux étudians de la veille, réunis sous le pseudonyme d’Agathon, écrivaient, il y a quatre ans, ces lignes qu’il est bon de relire à la lumière des événemens actuels : « S’il est une culture opposée à la nôtre et que nous ne puissions imiter sans forcer et fausser nos qualités naturelles, c’est sans doute la culture germanique. Il faut relire Nietzsche pour se rendre compte de leur antagonisme ; il l’a exprimé avec tant de pénétration et de violence, qu’on peut y entendre comme l’écho d’un douloureux combat intérieur. C’est avec une sorte de rage qu’il a exaltera culture française, « la plus noblement humaine, » contre la discipline intellectuelle des Universités allemandes. Le signe de la culture allemande, en effet, c’est que l’histoire y envahit et absorbe tout. Notre culture française, au contraire, est, avant tout, philosophique et littéraire :