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que compliquée ! Mais elle décèle le plus dangereux des systèmes. L’Université du Second Empire avait subi la bifurcation, que l’Université, expérience faite, s’est empressée de rejeter. Le progrès a imposé à l’Université de la troisième république la quadrifurcation. Hercule n’avait eu à choisir qu’entre deux routes : chez nous le collégien est obligé de se décider entre quatre routes dont il ne sait où elles mènent ni comment elles y mènent. Au lieu de lui laisser un peu de temps pour s’éprouver lui-même, il est tenu d’engager l’avenir et peut-être de manquer son avenir. Douze ans et déjà spécialiste !

Si même il choisit le cycle latin-grec, qui ressemble le plus à l’enseignement classique d’autrefois, il s’en faut qu’il en reçoive le même bénéfice. Les méthodes par lesquelles on enseigne les langues anciennes ne sont plus les mêmes ; d’attrayantes qu’elles étaient, elles sont devenues rebutantes et rébarbatives ; il semble qu’on prenne à tâche d’en dégoûter les jeunes gens. Les plus beaux textes français sont abandonnés : on n’explique plus Pascal, Bossuet, Fénelon qu’à regret et à la dérobée ; pour les poètes, les auteurs de lettres ou de mémoires, et même pour les auteurs dramatiques, — c’est incroyable et c’est ainsi, — la mode est aux extraits et aux morceaux choisis. Les exercices écrits sont tenus en suspicion et réduits à de tristes gloses et de mornes commentaires. Au lieu de ces récits et de ces discours, qui donnaient un aliment à l’imagination d’un jeune homme et à son éloquence naturelle, des tâches de pédans ! Enseignement découronné, mutilé, dont il est visible qu’on ne le laisse subsister que par tolérance, et que son maintien précaire n’est qu’un répit. Déjà se dresse devant lui l’image de sa mort et de son remplacement ; sa succession est ouverte : elle est dévolue. L’enseignement qui doit le supplanter est déjà installé à ses côtés, et pour ce nouveau venu sont toutes les faveurs et tous les sourires. Notons-le en effet, le cycle D, sans latin ni grec, est pourvu des mêmes sanctions, donne aux jeunes gens les mêmes droits, leur ouvre les mêmes carrières que les autres. On peut être aujourd’hui avocat, médecin, magistrat et professeur de lettres, sans savoir un mot de grec ni de latin. Or l’enseignement sans grec ni latin recevra de la bienveillance administrative telle dénomination qu’on voudra : c’est en réalité un enseignement primaire. Tel est le paradoxe, ou, pour mieux dire, telle est la conclusion logique à laquelle devait aboutir une réforme qui enlevait à l’enseignement secondaire tous ses principes vitaux ; l’enseignement primaire est entré dans la maison et y est entré en conquérant : la maison est à moi, c’est à vous d’en sortir.