Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son passé, devrait être la maison par excellence de la haute culture et de la culture à la française, elle affecte de ne voir dans l’enseignement des humanités qu’un enseignement superficiel et verbal, tout juste propre à former d’aimables causeurs, de spirituels dilettantes, des oisifs et des inutiles, parasites de la Cité moderne. L’important dans une discussion est de trouver un mot sous lequel on accable l’adversaire, qui répond à toutes les objections et tient lieu de tous les argumens. Le mot de « rhétorique » a été la « tarte à la crème » des ennemis de la culture classique. Il a été convenu que toute cette culture est pure rhétorique et que la rhétorique est pur verbiage, parure désuète, ornement superflu et démodé, luxe vieillot, jeu puéril de frivoles élégances. S’appliquant à elle-même le bienfait de cette découverte, la Sorbonne s’est réformée avec austérité. Elle a banni de ses travaux tout ce qui pouvait offrir une apparence de littérature et s’est condamnée aux seuls labeurs de l’érudition. Elle a proscrit de ses cours les idées générales, pour se limiter à d’étroites et sèches besognes. Aussi, tandis que les cours d’autrefois, — et je ne parle pas seulement des « grands cours » à fracas politique du temps de la Restauration, mais des cours que j’ai pu entendre, professés par un Boissier ou un Lavisse, — étaient un des plus importans facteurs du mouvement intellectuel dans le pays et continuaient à y répandre le goût des idées, les cours d’aujourd’hui groupent beaucoup d’étudians étrangers, mais rebutent les auditeurs français. Quant aux thèses de doctorat qui nous arrivent de la Sorbonne, jadis c’étaient des livres, maintenant ce sont des monstres. Les notes y sont bourrées de références et la bibliographie en est sans lacunes ; mais le texte en est sans valeur. Le La Fontaine et ses Fables de Taine, la Némésis de Tournier, la Contingence des Lois de la nature de Boutroux furent des thèses de doctorat. Aujourd’hui elles seraient impitoyablement retournées à leurs auteurs, coupables d’y avoir mis des idées et de les avoir exprimées en français. Ainsi l’enseignement supérieur a été livré en proie aux spécialistes.

Des trois ordres d’enseignement, le plus éprouvé, ç’a été l’enseignement secondaire. C’est lui qui, pendant longtemps, avait été le mieux organisé, présentant une harmonie et une unité qui faisaient sa force. Qu’elles étaient charmantes, ces classes de ma jeunesse, et comme le temps y était utilement employé ! Nous passions chaque année sous la direction d’un maître nouveau qui, pour toute l’année, devenait noire maître. Il nous connaissait, nous retrouvant tous les jours : il savait le fort et le faible de chacun de nous et nous