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Rochelle m’a dit avoir vu arriver les canons de Bourges. Il paraît qu’on dégarnit Bourges. Ici on agglomère des forces… Le Gaulois est arrivé le matin ici. On paie un franc pour le lire un instant sur la place de l’Allier. Voilà toutes les nouvelles.

« J’ai laissé Lina et les petites à Boussac, gaies, en bonne santé. Je n’ai que le temps de l’embrasser. Je pars à l’instant pour Brioude.

« Donne-moi de tes nouvelles souvent. Je suis en peine de te voir rester dans une province si à portée de l’invasion. Je te bige comme je t’aime, et j’embrasse Maurice.

« Sol.[1] »


Cette lettre, adressée à Nohant, ne devait plus y trouver George Sand. A son tour, la grand’mère fuyait, non devant les Prussiens, mais devant l’épidémie. La petite vérole charbonneuse avait soudain éclaté, et avec une telle virulence, que chacun craignait d’être un véhicule de peste pour son voisin. Plutôt que de colporter le mal en multipliant de foyer en foyer des visites sans efficacité, George Sand s’éloigna de cet air empesté, décidée à revenir à la première accalmie du fléau. : Elle répondait donc à Solange, à la fin du mois de septembre :

« Nous voici tous à Saint-Loup (dans la Creuse.) Le lendemain et le surlendemain de votre départ, l’affreuse variole purpurale a fait de tels progrès que nous avons dû partir, Maurice et moi. Nous n’aurions bientôt eu personne pour nous servir, et la crainte de devenir un danger l’un pour l’autre nous a décidés. Je me sentais malade depuis huit jours. Le changement d’air m’a guérie tout de suite. A Boussac, où nous avons couché, j’ai su que tu avais gagné Lavaufranche à temps. Ce matin, je reçois ta lettre de Moulins qui m’est renvoyée de Nohant. Je ne sais pas quand nous pourrons y retourner, à ce pauvre Nohant ! S’il n’y avait que la crainte d’être rançonnés par les Allemands, ce ne serait rien. Mais mourir de la peste ! le courage ne sert de rien, puisqu’au lieu de secourir les siens, on craint de les empoisonner. Si nous ne pouvons rentrer chez nous, nous irons passer l’hiver dans le Midi, du côté de Pau. Nous fuirons le mistral.

  1. Inédite (vers le 20 septembre 1870.)