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Le fait est exact et m’a été confirmé à Saint-Lazare : seulement on assure que le civil ne tirait pas.

Dans la ville, — sauf un malheureux brancardier qui s’était dissimulé à notre vue, — pas une âme, pas un bruit, si ce n’est celui des flammes. Ça brûle, sur notre chemin, d’un feu d’enfer. Il doit être minuit et demi. M. C. et moi nous croyons vivre un rêve…

Arrivés à Saint-Vincent, nous apprenons que Pierre n’est pas rentré et que peut-être il est à Saint-Joseph. Là aussi est la religieuse qui soigne notre pauvre mourant… et ma mère que j’aimerais embrasser. Je propose d’aller chercher Pierre, seul, un peu ému, car les patrouilles, si on en rencontre, ne sont pas tendres. M. C. malade de fatigue me rejoint vaillamment dans la rue. Au presbytère une bougie vacille derrière une fenêtre, falote sous le clair de lune. Nous entrons pour donner des nouvelles au pauvre curé solitaire et courageux. Le soir même il a été mandé au « Grand Cerf » sous peine d’être fusillé. Il se considère comme otage, car on lui a dit qu’on reviendrait peut-être le chercher. « Pauvre ville ! pauvre ville ! » lui ont dit poliment des officiers. Pourquoi ? « Parce qu’elle va être incendiée, » lui ont-ils répondu, « à cause des hommes qui ont tiré sur nos officiers. » Courageusement, il a intercédé auprès du général.

Ensuite, à Saint-Joseph, accueil ému et sympathique des sœurs groupées dans la loge, d’Henri, de ma mère, ma chère mère couchée tout habillée, et retour avec la sœur infirmière.

Le blessé vient de mourir.


Baron ANDRE DE MARICOURT.