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Chantilly, vendredi 6 mai.

Nous voilà encore chassés de quelque part, et, cette fois, c’est de Paris !

Hier, dès le matin, nous voyions de nos fenêtres la foule se diriger vers la Colonne et y déposer silencieusement des couronnes. Deux bataillons d’infanterie étaient massés sur la place Vendôme, témoins muets, comme nous-mêmes, de toute cette manifestation. Renfermés chez nous, sans aucune nouvelle du dehors, nous n’avions d’autre préoccupation que la santé du Prince. On lui avait apposé de bonne heure des sangsues à la gorge. Il était encore tout sanglant lorsque vers les trois heures M. d’Houdetot vint presser la Reine de partir. On le conduisit auprès du malade, dont il vit les plaies, mais n’en persista pas moins à hâter notre départ. La Reine hésitait ; mais le Prince, tas d’être prisonnier dans sa chambre, montrait autant d’envie de quitter Paris qu’il avait eu d’impatience d’y parvenir. On répondit donc à M. d’Houdetot qu’il serait fait selon ses désirs, dès que les préparatifs nécessaires auraient pu être achevés.

Les domestiques s’y mirent tout de suite, moins Charles, qui courait la prétentaine et continuait à s’amuser du matin au soir. ; M. Zappi vint nous faire ses adieux. Il ne restera rien entre nous de son marivaudage qu’une bonne et franche amitié. Je lui ai prédit qu’il aimerait Paris ; que, comme réfugié italien, il y serait l’homme à la mode. En effet, il a déjà toutes ses soirées prises, ce dont, dit-il, il se soucie fort peu. En disant cela, il a poussé un soupir et m’a lancé une dernière œillade ! La Reine lui demandant son bras pour faire quelques pas dehors, selon l’ordonnance du médecin, nous sommes allés tous trois rôder autour de la Colonne. Les quatre aigles étaient couronnées de fleurs, tout le soubassement disparaissait sous les guirlandes : cependant on en apportait encore à chaque instant. Comme une dispute s’élevait, provoquée par un vieillard hostile aux manifestans, la Reine est revenue tout de suite se claquemurer chez elle et, dès lors, Paris a été, pour elle, comme s’il n’existait plus.

Elle aspire à la liberté de la vie anglaise. L’honneur que Louis-Philippe lui fait de la croire dangereuse la réconforte ; elle pense qu’en raison même de la peur qu’elle inspire, elle obtiendra son million demain et plus tard son duché. Elle me