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rétablissement de la statue de l’Empereur sur la Colonne. La Reine a cru un instant que ce spectacle lui serait offert une seconde fois aujourd’hui, comme il l’a été déjà au mois de mars 1815. L’Empereur approchait de Paris ; son entrée aux Tuileries n’était plus l’affaire que de quelques heures. Elle-même venait de quitter la cachette où elle s’était tenue depuis la nouvelle du débarquement de l’île d’Elbe, c’est-à-dire pendant deux semaines, chez son ancienne femme de chambre Mimi, rue Tronchet ; les deux jeunes princes avaient été confiés à une marchande de bas du boulevard.

Des fenêtres de Mme Charles, une modiste de la rue de la Paix, la Reine vit donc la manœuvre d’élever la statue de Chaudet avec des haubans et de la rétablir à la place ancienne. Mais depuis, cette statue a été fondue par ordre des Bourbons et le métal a servi à couler la statue d’Henri IV, par Lemot. Louis-Philippe ignorait cette circonstance, ou bien il l’avait oubliée quand il signait cette ordonnance malencontreuse du 8 avril, gage d’apaisement, pensait-il, et, dans le fait, arme dont l’opposition politique s’empara, qu’elle retourna aussitôt contre lui.

Un groupe de Napoléonistes fervens a fait faire, par un sculpteur de Saint-Mandé, une statue de bois de chêne, qui est prête et qu’on voulait hisser demain sur la colonne ; le ministère n’a point permis cela ; il vient d’envoyer l’ordre d’arrêter cette statue aux barrières et de ne pas la laisser pénétrer dans Paris. Voilà un conflit nouveau dont le Prince s’égaye. Tandis que la Reine écrit à Madame Mère, sur le sujet de la statue de Saint-Mandé, une lettre que nous ferons passer par M. Salvage, il veut que je lise, pour lui seul, la nouvelle ode « A la Colonne, » de M. Victor Hugo. Cette pièce est bien supérieure à celle que le même poète publia dans son dernier recueil ; la différence de l’une à l’autre marque un progrès de son talent. La Reine n’aime pas certaines métaphores trop hardies, telles que le crâne fait au moule du g lobe impérial, mais elle reconnaît que les strophes sont pleines de souffle et de mouvement.

Le Prince écoute silencieusement quand j’arrive au vers :

Dors ! Nous t’irons chercher ! Ce jour viendra peut-être !

Il se lève de son canapé et marche d’un bout à l’autre de la chambre, en proie à une vive émotion.