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première rue qu’il vit sur sa gauche, le Prince descendit doucement de son siège et disparut de ce côté. Bien lui en prit, car à peine arrivions-nous devant la porte, qu’un attroupement se forma ; le nom de la Reine circula dans la foule ; un Anglais lia conversation avec Fritz, qu’il se souvenait d’avoir vu à Rome. Des curieux à foison, mais point de chevaux. Les réfugiés en route pour Livourne en avaient pris la plus grande partie ; le reste était réservé pour le grand-duc, qu’on attendait dans la matinée. Il fallut supplier les paysans qui nous avaient amenés d’Asciano de pousser plus loin. Cet arrangement commun exigea un instant long pour nous comme un siècle, et qui n’aboutit encore qu’à un contre-temps. La grande rue, où nous devions retrouver le Prince, était barrée ; on la réparait ; nous nous rejetâmes sur la droite, fort anxieuses de savoir comment il nous rejoindrait, s’il devinerait que nous avions passé outre, ou si, étonné de notre retard, il ne reviendrait pas se faire prendre à la porte. Enfin nous l’aperçûmes qui mangeait des pommes devant une petite boutique. Il s’élança sur son siège, à point pour franchir la porte et pour prendre avec nous la clef des champs.

A partir de Poggibonsi, nous étions en pays inconnu et ne risquions plus de mauvaises rencontres ; la Reine n’en a pas moins voulu voyager toute la nuit suivante, pour gagner du terrain et nous mettre ainsi hors de portée. Une autre précaution, pour laquelle Charles nous quitta à Fornacette, fut de l’expédier à Livourne, sous prétexte d’y préparer l’embarquement pour Malte ; on offrait ainsi à la police une fausse piste, qui allait se perdre dans la mer.

Au petit jour, nous nous arrêtâmes une heure dans une auberge : c’est en ce point que la Reine cessa d’être duchesse de Saint-Leu et devint Mrs Hamilton.

Nos jeunes gens firent leur toilette de fils de famille. Fritz mit sa livrée anglaise. M. Cailleau monta sur notre siège de derrière, ce qui nous donnait l’air encore plus anglais. C’est dans cet appareil qu’à cinq heures du matin nous arrivâmes à Pise, dont les portes étaient encore fermées. Les cris de nos postillons les firent ouvrir à la satisfaction de paysans qui attendaient là assis dans le fossé, leurs paniers sur leurs genoux. Le commis de police prit notre passeport, y lut le nom de Mrs Hamilton, celui de ses deux fils Charles et William et s’étonna de n’y voir