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de la barrière pouvait lui donner l’éveil si, comme je continuais de le craindre, il avait tiré les vers du nez à notre postillon.

Toutes ces raisons décidèrent la Reine à pousser plus avant, malgré sa fatigue ; mais on ne pouvait nous donner que trois chevaux ; deux heures se passèrent à en attendre un quatrième, qui était parti en estafette, et qui, aussitôt revenu, fut mis tout droit à notre timon.


Luques. S avril.

Enfin, c’est fait : nous sommes arrivés sans encombre aux limites de la Toscane. La traversée de Sienne, avant-hier, fut pour la Reine la dernière péripétie. Cette ville où elle passe tous les ans, et où elle est fort connue, présentait pour le Prince un danger particulier. Il projetait d’abord de mettre pied à terre en arrivant devant la porte, de faire le tour des murs et de nous rejoindre à la sortie ; mais cet itinéraire était long, il n’était pas connu ; comme il ne s’agissait, en somme, que d’esquiver la poste et l’auberge, le circuit nécessaire pouvait se faire aussi bien à l’intérieur de la ville, et c’est à ce dernier plan qu’on s’arrêta.

On fit une dernière halte vers quatre heures pour se mettre d’accord sur tous les détails. M. Zappi vint alors causer un instant auprès de la voiture de la Reine. Quelle ne fut pas notre surprise en lui voyant le visage et le col couverts d’énormes boutons ! Ce méfait nouveau de la rougeole aurait exigé que le malade fût mis tout de suite dans une chambre à l’abri de l’air. Mais c’est de quoi il ne se souciait nullement, craignant par-dessus tout de rester seul à l’auberge, livré à lui-même et privé du secours que la Reine lui avait prêté jusque-là. Comme nous ne pouvions nous-mêmes le laisser derrière nous sans quelque complication et sans quelque risque, on décida de l’emmener quand même et de laisser au bon soleil italien le soin de le guérir. Il fut s’asseoir dans la seconde voiture à côté de M. Cailleau, s’enveloppa de couvertures de laine, rabattit son chapeau sur ses yeux, et l’on repartit comme si de rien n’était.

Les voitures se suivaient dans leur ordre ordinaire, mais la porte où elles se présentaient n’était pas celle par où la Reine avait l’habitude de passer. Le passeport toscan fut donné, visé, sans que ni elle, ni personne de sa suite eût été reconnue. A la