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s’étaient faits ses gardes du corps refusant de le quitter et voulant le suivre jusque dans les prisons de Moravie.

Cette triste aventure prouve que la mer est désormais fermée et confirme la Reine dans un projet de gagner la France par la Toscane, sous le nom de Mrs Hamilton. Pour plus de secret et moins de risque, elle a refusé la courtoise proposition de M. de Bressieux, qui écrivait de Rome pour annoncer son mariage et s’offrant à la rejoindre là où elle serait. Comme ses deux fils figurent sur le passeport, et que le pauvre Napoléon n’est plus, elle compte le remplacer par M. Zappi et sauver ainsi cet intéressant jeune homme des cachots du fort Saint-Ange ou de Civita Castellana. Dès jeudi donc, en prévision du prochain départ, M. Zappi quitte la retraite qu’un ami de sa famille lui avait ménagée jusque-là et vient s’installer au milieu de nous. Les paquets commencent ; les arrangemens d’argent avec M. Bendoni se terminent ; mais mon inquiétude redouble à la pensée qu’il nous faut pendant plusieurs jours encore cacher la présence de deux jeunes hommes, l’un inquiet, toujours en mouvement (c’est le Prince), et l’autre qui ronfle la nuit à réveiller un mort (c’est M. Zappi).

Enfin hier, vendredi, le général Geppert s’annonce ; il se montre on ne peut plus gracieux pour la Reine, s’informe de la traversée du Prince et la plaint d’avoir dû se séparer de lui à l’instant où elle venait de perdre son autre enfant. Apprenant qu’elle désire partir dimanche pour Livourne, gagner de là Malte, y rejoindre son fils et se rendre avec lui en Angleterre, il lui promet un sauf-conduit détaillé, grâce auquel elle aura droit à tous les égards et jouira de la sécurité la plus complète, dans toute la partie des États pontificaux occupée par les troupes autrichiennes.

Il ne nous reste plus alors qu’à poursuivre l’exécution du plan de la Reine. Nos deux jeunes gens se déguiseront provisoirement en domestiques, et garderont cet accoutrement jusqu’à ce que la duchesse de Saint-Leu ait pu devenir Mrs Hamilton. Ils s’amusent follement tous deux de leur transformation. M. Zappi, dans sa livrée trop grande, est parfaitement ridicule. Quant au Prince, la tête rasée comme la main, le front serré par un bonnet de soie noire, il porte les habits d’Auguste, que nous faisons passer pour malade et que nous laissons ici derrière nous. Son déguisement le défigure absolument, mais me