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LA QUESTION D’ALSACE-LORRAINE.

peu à peu par mille souvenirs d’enfance et de famille, par toute sorte d’impressions qui surgissent de ce sol où sont tombés tant de Français, par son hérédité d’Alsacien, en un mot. À propos d’une tentative de désertion de Jean Knabel, il se heurte d’autre part au « germanisme » persistant d’un officier allemand, M. de Breitenfels, qui s’était donné à lui pour un fervent « pacifiste, » et qu’il provoque en duel. Et il finit par se rendre compte que s’il y a, dans l’Europe contemporaine, un peuple qui ne peut, ni ne doit se déclarer pacifiste, ce ne sont pas les Français vaincus, et, plus particulièrement, les Alsaciens opprimés.

Cette conversion d’un Alsacien pacifiste, je ne sais si, au cours de ces dernières années, ç’a été l’histoire authentique d’un grand nombre d’Alsaciens ; mais je crois bien que le cas de Juste Lobel est, depuis deux mois, celui de beaucoup de Français. Combien en avons-nous connu de ces candides et généreux compatriotes qui auraient volontiers préconisé une entente avec l’Allemagne, et qui pensaient que cette entente, on ne l’eût pas payée trop cher en renonçant volontairement à nos droits sur l’Alsace et en acceptant de notre plein gré le traité de Francfort ! Comme si, de la part de vaincus, une abdication de ce genre n’eût pas été un aveu d’impuissance, un signe manifeste de faiblesse, et comme si nos orgueilleux adversaires n’eussent pas vu, dans ce geste généreux, un acte officiel de lâcheté ! À ces pacifistes illusionnés il a fallu les derniers événemens pour leur dessiller les yeux. Il faut leur rendre cette justice qu’ils n’ont pas été les derniers à faire tout leur devoir patriotique, et qu’aujourd’hui même ils sont aussi résolus que les plus résolus d’entre nous à soutenir jusqu’au bout, sans défaillance, la lutte contre le militarisme allemand. Mais quand on y songe, et quoi qu’ils en pensent encore, quels dangers ils ont failli faire courir à la défense nationale ! D’abord, en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, comment n’ont-ils pas vu qu’il est souverainement immoral de composer avec la violence et l’injustice, et que nous n’aurions pu renoncer à l’Alsace-Lorraine que si l’Alsace-Lorraine avait, spontanément, renoncé à nous ? Oui, si nos vainqueurs avaient su se faire aimer des Alsaciens-Lorrains, si ces derniers n’avaient pas eu à se plaindre de leurs nouveaux maîtres, s’ils s’étaient déclarés heureux de leur vie nouvelle, s’ils n’avaient rien regretté du passé, oh !