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LA QUESTION D’ALSACE-LORRAINE.

que l’insuccès de sa politique mondiale lui avait procurées. Le régime des basses persécutions a recommencé. Cette lamentable affaire de Saverne, où le ridicule le dispute à l’odieux, a montré aux plus aveugles que l’insolence et la violence de la caste militaire étaient désormais toutes-puissantes, et que les jours allaient sonner de la poudre sèche et du glaive aiguisé. C’en était fait des rêves de conciliation. Et puisqu’un vent de folie soufflait sur l’Allemagne, et

 … cet esprit d’imprudence et d’erreur,
De la chute des rois funeste avant-coureur,

il n’y avait plus, pour la pauvre Alsace, qu’à attendre, dans la douleur et dans l’angoisse, ce qu’allait décider le sort des armes. Nous saurons, quelque jour prochain, tout, ce que, dans cette terrible période d’attente, elle aura souffert des Barbares.

M. Maurice Barrès nous raconte que le lieutenant instructeur, interpellant un jour le volontaire Ehrmann, lui dit : « Ce sera une chose très grave pour vous, le jour qu’il y aura la guerre avec la France. Que ferez-vous, quand il s’agira de se battre contre l’armée française où vous avez des parens ? » Et le volontaire de répondre de sa voix la plus ferme et la plus simple : « Je suis médecin, monsieur le lieutenant. » Mais ses yeux parlaient pour lui ; et ses yeux disaient : « T’imagines-tu que je vais rester ici, quand il s’agira d’une guerre avec la France ? »

Volontaire Ehrmann, vous êtes, je l’espère, du nombre de ces Alsaciens qui, au prix de mille périls, ont depuis trois mois réussi à passer la frontière. Car si, par hasard, vous aviez dû rester en Allemagne et revêtir, même comme médecin, l’uniforme maudit, je n’oserais penser à vous sans pitié et sans terreur.

Votre cas, d’ailleurs, précisément parce qu’il n’est pas unique, peut nous induire, nous, vos compatriotes de demain, à des réflexions auxquelles il n’est sans doute point prématuré de se livrer, — car qui doute, en dehors des Allemands, que les traités de 1915 rendront l’Alsace-Lorraine à la France ? Or, depuis quarante-quatre ans, il s’est développé en Alsace, moitié en raison des circonstances historiques, moitié en vertu de certaines dispositions ethniques, un certain « particularisme » alsacien que l’Allemagne n’a jamais voulu admettre, — bien