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n’a peut-être pas oubliée, car elle a paru deux mois avant la guerre actuelle et elle faisait présager bien des faits et des actes qui se sont réalisés en partie J’aime à croire, — ceci dit en passant, — que l’issue finale, c’est-à-dire le retour de nos deux chères provinces à la France, ne se fera pas trop longtemps attendre.

Le vendredi 17 février, le jour même où Jules Grévy remerciait ses collègues de l’avoir fait monter au fauteuil de la présidence de l’Assemblée, Emile Keller vint donner lecture de la protestation rédigée par Gambetta, d’accord avec tous les représentans de l’Alsace-Lorraine. Les considérans de cette célèbre protestation sont connus de tous. Je n’en veux détacher que les derniers mots qui, comme tous les autres d’ailleurs, firent courir un frisson dans l’Assemblée et provoquèrent un enthousiasme inouï : « Nous proclamons par les présentes à jamais inviolable le droit des Alsaciens et des Lorrains de rester membres de la Nation française, et nous jurons, tant pour nous que pour nos commettans, nos enfans et leurs descendans, de le revendiquer éternellement, et par toutes les voies, envers et contre tous les usurpateurs. » On sait comment ce serment-là a été tenu et comment pendant quarante-quatre ans l’Alsace et la Lorraine aussi dédaigneuses des séductions que des menaces, des offres que des violences, tinrent tête aux usurpateurs.

La lecture de cette noble protestation, le discours bref et saisissant dont Keller l’avait fait suivre, son cri d’angoisse et d’appel au secours, l’horreur et le dramatique de la situation avaient fait une telle impression que, je l’affirme, si un vote immédiat avait suivi, la guerre aurait continué et toutes négociations auraient été écartées.

C’est dans ces momens-là, dans ces heures décisives, que la réflexion du poète se justifie :


si forte vitutn quem
Aspexerè, silent arrectisque auribus adstant.


L’homme parut aussitôt à la tribune. C’était M. Thiers qui, d’un geste, imposa le silence et ramona les esprits au sentiment réel de la situation. Elle était terrible, je l’avoue. Et lui-même ne cachait pas son émotion, car je l’ai vu pleurer, tandis qu’il prononçait les paroles nécessaires, les paroles d’un politique et d’un patriote convaincu. Il supplia ses collègues d’agir en