Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a, comme un tremblement de terre universel, secoué le monde économique jusque sur les marchés les plus reculés ; que, brusquement, en vingt-quatre heures, les Bourses se sont fermées, les bateaux ont cessé de naviguer et que les métiers ont cessé de battre, du moins chez les nations belligérantes. En France, jusqu’au 25 août, nombre de filatures et de tissages de coton étaient encore arrêtés. Mais chez ceux qui ont la mer libre, la main-d’œuvre absente étant peu à peu remplacée, l’intérêt commercial pousse les fabricans à travailler, dût la vente être d’abord un peu entravée, parce que les stocks ne seront pas longs à s’écouler ensuite à des prix très rémunérateurs.

Chaque jour améliore donc la situation des pays ouverts à la vie internationale ; le mouvement y reprend peu à peu ; chaque jour empire celle du pays qui, une fois son approvisionnement épuisé, devra fermer ses usines. De semaine en semaine on s’en apercevra davantage. Pendant que les tissus de coton italiens pour vêtemens, dont la concurrence était particulièrement redoutable pour les similaires allemands, pendant que les jacquards ou les damassés d’Irlande et d’Angleterre s’offriront avec succès dans les comptoirs des deux Amériques et de l’Asie, le prolétariat allemand verra le travail suspendu et les vivres enchérir.

Nourri de fumée, de la fumée des cathédrales bombardées et des villes incendiées, mangera-t-il alors à sa faim ? La discipline héréditaire qui le fait naître à genoux et l’y maintient étouffera-t-elle ses murmures ?

Le banquier de Francfort, l’armateur de Hambourg, le marchand de Munich, si férus de batailles il y a deux mois, verront-ils qu’ils se ruinent pour le roi de Prusse et que les domaines des seigneurs de Brandebourg et de Poméranie sont seuls à ne pas redouter la faillite ? Nul encore ne saurait le dire. En tout cas, dans cette guerre où l’Allemagne, « décivilisée » par tactique militaire ou par amour-propre exaspéré, réapprenant la barbarie au XXe siècle, se flattait de réduire ses ennemis par la terreur, ceux-ci, beaucoup plus modernes en visant l’Allemand à la bourse, pourraient bien le prendre tout doucement par la famine, ou du moins par la misère.


GEORGES D’AVENEL.