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IMPRESSIONS D’UN COMBATTANT

NOTES DE ROUTE
II.[1]

J’en étais resté au milieu du mois d’août, à l’instant où, arrivant de la Chapelle-sous-Rougemont, nous venions de pénétrer dans notre Alsace ; …ou plutôt j’y avais laissé mes lecteurs, car j’ai moi-même, depuis lors, dévoré un nombre respectable de kilomètres. Que de choses enferme cette petite ligne fictive que nous venons de franchir et qu’on appelle « la frontière ! » Bien dans les champs, dans les bois qu’elle traverse, sur la route qu’elle coupe ne décèle sa trace invisible. Nos montures viennent de la franchir, et elle a été moins sensible à leur robuste poitrail que n’est le mince fil de soie que les coureurs à pied dans le Stade heurtent et brisent lorsqu’ils arrivent au but. Pourtant une émotion, une allégresse joyeuse nous étreint la gorge en passant, car cette ligne, au liséré impalpable, est la marge de la patrie. Et si nous sommes ici, c’est pour la dilater et l’élargir et l’adapter enfin au souffle généreux de la France, qui étouffait dans sa courbe rétrécie naguère par l’inique violence.

A 1 500 mètres de la frontière, nous passons l’immense bâtiment des douanes allemandes. Il n’en reste que quelques murs calcinés où pendent encore, disloqués, les lourds volets de bois que strient en longues bandes obliques alternativement rouges, blanches et noires, les couleurs de l’Empire germanique. Puis

  1. Voyez la Revue du 18 septembre.