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sagesse et à la pratique de cette vertu, la plus difficile de toutes pour eux, qui consiste à se contenir et à se modérer. »

Autre jugement de M. Steed : « La presse a besoin d’être dirigée par un sentiment élevé de ses devoirs envers le public, sentiment qui ne devrait pas être inférieur à celui d’un professeur d’Université à l’égard de ses étudians ou d’un prédicateur à l’égard de ses fidèles… Dans la monarchie des Habsbourg et particulièrement à Vienne, la presse est moins un organe de l’opinion publique qu’un instrument destiné à fabriquer l’opinion publique d’abord selon les désirs des autorités d’Etat et, en second lieu, dans l’intérêt des corporations financières et économiques. »

Quant aux nombreux parlemens et sous-parlemens de la monarchie, ils sont devenus, par la même ingérence de la Bureaucratie, moins des organes de l’opinion publique que des paravens et des complices de l’arbitraire : « Le gouvernement, qui se compose surtout de fonctionnaires, achète l’appui des leaders politiques en donnant des emplois de l’Etat à leurs protégés ou de l’avancement aux protégés déjà en fonctions. Une main lave l’autre, et c’est un échange de services. A l’occasion, les votes d’un parti tout entier peuvent être achetés par la nomination d’un de ses membres à un sous-secrétariat permanent : une fois nommé, il est en mesure de faire nommer d’autres fonctionnaires de sa race ou de son parti, et chaque fonction ainsi conquise forme une part du patrimoine politique de la race ou du parti qui se l’est assurée et qui la défend avec vigueur contre les attaques. »

Dans toutes les assemblées de la monarchie, la démoralisation est-elle aussi générale que dans ce parlement de Vienne, qui fut pour M. Steed d’un commerce plus familier ?… « Il n’y a pas en Autriche, dit l’auteur, une race ou un parti capables d’hésiter à vendre la Constitution si on y mettait le prix… » Cette démoralisation est-elle particulière aux parlemens d’Autriche-Hongrie ?… Il suffit à M. Steed de l’avoir constatée là-bas pour avoir le droit de conclure qu’en face de ces instrumens à dominer les peuples, que sont l’Armée, l’Eglise, la Police et la Bureaucratie, on ne voit pas de quel instrument légal peuvent user les peuples pour restreindre l’arbitraire de la dynastie : « Les peuples de l’Autriche sont toujours les peuples de l’Empereur presque dans un sens féodal, » conclut M. Steed.