Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


M. Steed, on le voit, a la plus robuste confiance dans la jeunesse et la longue vie de la monarchie des Habsbourg. Je ne cacherai pas ce qu’une telle confiance m’inspire d’admiration et de réserves. J’ai signalé déjà qu’ayant beaucoup vécu à Vienne, il se pourrait que M. Steed eût un peu vu les choses à la viennoise. S’il eût passé dix années, non point à la porte de la Ballplatz, mais à Agram, Raguse, Laybaeh, Prague, Lem-berg ou Klausenbourg, je me demande s’il n’eût prévu que des changemens et des convulsions annonçant un renouveau d’union pour les peuples, de puissance et de vigueur pour la dynastie. Et s’il eût écrit son livre en 1915 au lieu de 1913, est-il improbable qu’il eût constaté déjà tels changemens et telles convulsions tout différens de ceux qu’il nous annonçait ?

Il est vrai que, dans les meilleures de leurs Relations, nos ambassadeurs d’autrefois se contentaient de bien expliquer et décrire ce qu’ils avaient eu sous les yeux ; ils laissaient à leur successeur le soin de décrire et d’expliquer ce qui se produirait après leur ambassade. M. Steed n’a pas fait autre chose et, dans son livre, il nous fait bien voir sur quelles assises puissantes reposait encore la monarchie danubienne à l’heure où il la décrivait, et de quels instrumens elle disposait et dispose encore pour défendre son pouvoir unitaire.

Quatre institutions d’Etat « forment la charpente osseuse de ce corps politique : l’Armée, l’Eglise, la Police et la Bureaucratie. » M. Steed les passe en revue moins pour les décrire dans le détail que pour les caractériser et en montrer les rapports avec le Maître et la place dans cet ensemble monarchique.

L’Armée lui semble la plus importante de ces institutions, non seulement par sa force intrinsèque et le moyen souverain, qu’elle met entre les mains de la dynastie, de tenir tête à tous les ennemis du dedans et du dehors, mais plus encore par « son influence éducative au sens pédagogique et, tout à la fois, politique de ce mot. » M. Steed n’a pas insisté sur la valeur militaire de cette armée, dont la guerre actuelle semble avoir révélé le défaut capital : le manque d’homogénéité. Armée non pas seulement dualiste, comme la monarchie elle-même, mais trinitaire à vrai dire, composée des trois armées commune, autrichienne et hongroise, et, sans