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qu’il leur promet, cette Sion rebâtie sur les ruines du Palais et du Temple, où viendront se réunir à nouveau les Fils du Seigneur dispersés depuis deux mille ans ? Le Sionisme donne du moins aux Juifs du Habsbourg une nouvelle ardeur à se défendre eux-mêmes et à lutter pour leur situation économique et sociale, et c’est l’unité de la monarchie, le pouvoir de la dynastie qui, satisfaisant au maximum leurs sentimens et leurs intérêts, bénéficie, en fin de compte, de cette ardeur nouvelle. Les papes de Rome et d’Avignon n’avaient pas autrefois de meilleurs sujets que leurs Juifs ; chaque principicule germanique vivait et prospérait jadis par le dévouement de son lieber Jude.

En Autriche-Hongrie, les Juifs ont rendu à la dynastie un service plus grand encore : ils ont permis à cette monarchie cléricale de se poser en défenderesse des intérêts populaires, en ennemie de l’exploitation capitaliste, en alliée, en remplaçante tout au moins du justicier socialiste, en arbitre désintéressée de la question sociale.

« Le cléricalisme, dit M. Steed, est une des forces principales dans la monarchie, une force non seulement défensive et conservatrice, mais agressive et quelquefois révolutionnaire. Le cléricalisme consiste essentiellement à abuser de l’allégeance religieuse et de la légitime organisation ecclésiastique pour des desseins politiques et économiques : depuis la Contre-Réforme, le cléricalisme a joué en Autriche un rôle important, et le clergé a toujours été un instrument entre les mains de la dynastie. Vers 1860, « les effets délétères du cléricalisme sur la vie publique » étaient sentis de tous ; après les désastres de 1866, on fit « porter le blâme de la démoralisation de l’Autriche au jésuitisme et au cléricalisme seuls ; une réaction naturelle et saine porta au pouvoir, quelques années avant 1870 et jusqu’en 1880, un parti qui s’efforça de corriger les pires anachronismes et de remédier aux plus flagrans abus de l’obscurantisme. Mais liberté et franchises signifiaient alors le plus souvent, en Autriche, liberté pour le Juif habile, alerte, infatigable, de se jeter, comme sûr une proie, sur un monde politique et une vie sociale totalement incapables de se défendre contre lui… »

Ce furent les beaux jours du libéralisme anticlérical, du laisser-faire juif, « du renard libre dans le poulailler libre, » comme dit encore M. Steed. Les Juifs n’étaient pas les seuls