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balancée au bout du bras, l’arbre de Noël piqué de petites bougies ; on entend le craquement sec et amical des noix, le cantique chanté en chœur. On se souvient de la famille rassemblée autour du poêle ; un père un peu redoutable, une grand’mère bénévole. Et puis ce sont, au printemps, les longues promenades des longues fiançailles. On marche sans parler, se tenant à la taille et pensant à des fleurs, à la lune qui se lève, à rien, avec un bonheur délicieux et patient. Sur la belle place, toute l’ancienne vie allemande ressuscite et circule avec vous, gaie et recueillie, économe, prudente, pénétrée d’un goût du devoir qui parait de grave beauté les moindres actes. La vie du temps où, en Allemagne, on savait, et mieux qu’ailleurs, que l’homme ne vit pas seulement de pain. » Ce temps est aboli, sans doute ?…

Quand Jacque Vontade peint de ces couleurs discrètes le paysage de la vie allemande, elle ne manque pas de noter que voilà des souvenirs et, si l’on veut, l’évocation d’une époque périmée. Puis, auprès de ces grâces si précieuses dans le demi-jour de l’imagination très complaisante, elle signale avec une impitoyable justesse les réalités d’aujourd’hui. Dur contraste ! C’est, à Cologne, dès l’arrivée, le pont formidable qui enjambe le Rhin ; à l’entrée du pont, les deux empereurs, droits sur leurs chevaux, gardent le fleuve. Pont gigantesque, pont colossal ! Et c’est, dans les moindres villes) allemandes, jusque dans celles où l’on retrouve le mieux les bribes du passé, partout, du colossal, des ponts imités de Cologne et, d’habitude, trop immenses pour la rivière qu’ils traversent, des monumens démesurés, des bureaux de poste qui vous ont des airs de cathédrales, des Bismarcks gros comme des montagnes. Lorsqu’il s’agit de peindre l’ancienne vie allemande, les mots se font petits, modestes et intimes : la nouvelle vie allemande, colossaux.

Jacque Vontade préfère, en Allemagne, l’âme d’autrefois à l’âme d’aujourd’hui. Et, l’âme d’autrefois, elle l’appelle aussi la véritable âme allemande. Pourquoi véritable, l’ancienne, celle que nous serions tentés d’aimer, et non celle d’aujourd’hui, celle que nous haïssons ? Reprocherons-nous à Jacque Vontade, ici, trop de bienveillance ? Peut-être ; mais non sans indiquer une fois de plus que son livre est de quelques semaines antérieur à nos plus récentes rancunes comme à nos informations les plus poignantes. Et s’est-elle trompée ? Je l’ignore. Admettons sans chicane qu’autrefois l’âme allemande ait mérité cette benoîte sympathie que Jacque Vontade ne fut pas seule à lui accorder. Mais alors, quelle maladie a donc pris cette âme allemande et l’a toute dénaturée ? Ainsi formulée, la question sera vite