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Oui, leur philosophe et leur poète, c’est Nietzsche le fou.

Jadis, il y eut en Europe une espèce d’amitié sentimentale pour ces bons Allemands d’une bonne Allemagne, très simple et vertueuse, aimable et patriarcale, douce gardienne des mœurs d’un autre âge. Cette Allemagne emmitouflée de bonhomie a-t-elle disparu ? Probablement. Ou bien, a-t-elle existé ailleurs que dans la molle imagination de ses panégyristes ? En reste-t-il au moins des traces ? Oui ; et Jacque Vontade les a retrouvées. « L’Allemagne ancienne (dit Jacque Vontade) aimait les petites constructions. A part les églises, ses édifices publics étaient ordinairement de moyenne grandeur. Dans tout ce qui reste d’elle, on aperçoit l’attachement aux coutumes locales, le sens de la petite patrie, l’amour jaloux de la ville, un puissant esprit régional. Les chambres étroites, les plafonds bas de ses vieilles maisons convenaient aux existences closes, discrètes, contenues par les devoirs modestes, ornées de sentimens recueillis et graves. Là-dedans, on craignait Dieu et le père de famille, on ne connaissait guère l’ambition, le besoin de nouveauté, le souci de ce qui se passe au loin. On recommençait ce que d’autres avant vous avaient fait ; les âmes se resserraient autour de quelques certitudes, réchauffantes comme le poêle autour duquel l’hiver tous se pressaient. Jusque dans les palais que, pour imiter Versailles, les princes allemands construisirent ou décorèrent au XVIIIe siècle, jusqu’en ces demeures, charmantes toutes, et quelquefois d’une délicieuse élégance, ce n’est pas la magnificence qui frappe, mais je ne sais quelle gentillesse familière… Lorsqu’on erre dans ces chambres peintes, sculptées, dorées, où noircissent les miroirs qui reflétaient leur joie, un peu d’attention suffit pour atteindre, à travers ce luxe emprunté, la véritable âme allemande, éprise d’amusemens simples, d’intimité libre ; pensive et gaie, apte mieux qu’aucune autre à sentir et à dégager la poésie des humbles choses… » Jolie page, et d’un charmant coloris I Mais, la « véritable âme allemande, » nous l’avons vue : ce n’est pas cela. « L’âme d’autrefois, » ajoute Jacque Vontade. Ainsi la véritable âme allemande, c’est une âme d’autrefois. Et l’âme d’aujourd’hui ?…

L’âme ancienne de l’Allemagne, Jacque Vontade l’a rencontrée dans les petites rues de Cologne. Puis, elle l’a rencontrée encore dans la vieille ville d’Erfurt. Il y a là, près de l’église, une place qui ressemble à une estampe du temps passé… « Elle parle de choses familières, douces, et môle à votre âme une bonne petite âme, enfantine par momens, à d’autres vieillotte. Et l’on voit les grandes neiges gaies, avec leurs jeux, la course par les rues noires, la lanterne