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Je viens de lire Un voyage, par Jacque Vontade. Ce voyage nous mène en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Italie : en Allemagne surtout ; c’est là que nous nous attardons, avec un sentiment de curiosité ardente et douloureuse. Jacque Vontade a écrit ce livre il y a quelques mois et l’a publié peu de semaines avant la guerre. Elle, — car l’auteur est une femme et, sur la couverture du volume, ajoute au pseudonyme de Vontade cette autre signature, « Fœmina, » qu’on a vue au bas de maintes chroniques très attachantes, — elle ne savait pas, et nous pareillement nous ne savions pas que les plus légitimes colères devaient bientôt modifier nos jugemens : les fausser ? non ; les éclairer. Jacque Vontade, avant la guerre, ne haïssait pas l’Allemagne. Du moins, si elle conservait, comme tout digne Français, l’ancienne rancune, elle déplorait les motifs de la durable inimitié. Toute frissonnante, elle se détournait au passage des régimens prussiens, se bouchait les oreilles quand défilait la musique des fifres ; mais aussi elle célébrait « l’âme profonde, l’âme religieuse de l’Allemagne chantante et fleurie. » Et elle disait : « J’aime l’Allemagne. Chaque fois que j’y reviens, j’ai un regret plus fort en songeant à l’infranchissable fossé qui nous sépare d’elle. Peut-être faudra-t-il des siècles pour le combler. Alors on verra quelle perte de temps et de force nous avons faite, elle et nous, en demeurant hostiles. Nous travaillerions si bien ensemble ! Pourquoi a-t-elle ouvert cette blessure par où le sang du cœur français coule toujours ? » Ces illusions qu’elle nourrissait, Jacque Vontade n’a pu les garder ; car elle se demandait combien de siècles il faudrait pour combler le fossé : quelques semaines ont fait du fossé un abîme. Et, si j’ai cité ces lignes de naguère, c’est afin qu’on voie que, son image de l’Allemagne, Jacque Vontade ne l’a pas dessinée et peinte avec antipathie. Elle l’a dessinée et peinte avec beaucoup de talent, comme avec beaucoup de bonne foi. Maintenant, regardons l’image ; nous admirons l’art de Jacque Vontade : le modèle nous est un objet de répulsion. Cela, l’auteur ne le voulait pas ; mais une lumière nouvelle a changé l’aspect des choses, une lumière d’éblouissante vérité.

D’ailleurs, ce livre n’est pas une étude complète de l’Allemagne. Jacque Vontade voyageait et, au jour le jour, notait son émoi, ses remarques, ses méditations. Elle se promenait à l’ombre des amples forêts, visitait les monumens et les musées, lisait ou relisait là-bas l’œuvre des écrivains et ornait d’un commentaire ingénieux ses journées de tourisme. Elle ne consultait pas les statistiques, ne menait point une enquête et ne prétendait point à conclure. Lorsque le jeune