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Anvers, on le sait, ne donne pas directement sur la mer et, circonstance fort importante, l’Escaut ne débouche pas dans les eaux belges. Lorsque, il y a juste quatre-vingts ans, on traça la frontière nord du nouvel Etat, la Grande-Bretagne exigea que les deux rives de l’estuaire, à partir de quelques milles au-dessous de Lilloo, restassent entre les mains de la Hollande. La précaution était prise contre nous, Français, car à cette époque, l’Angleterre était convaincue que la France méditait de reprendre les anciens Pays-Bas autrichiens…

Voilà donc, en apparence au moins, une grande difficulté pour qui veut « braquer au cœur de l’Angleterre le pistolet chargé à Anvers, » comme le disait Napoléon. Nul bâtiment allemand ne saurait, en temps de guerre, remonter jusqu’à Anvers ou en descendre sans violer la neutralité de la Hollande. Et cette neutralité, les canons de Flessingue aussi bien que ceux de gardes-côtes comme le Zeven Provincien, sans parler des sous-marins et des « torpedo-booten, » la soutiendraient énergiquement, personne n’en doute.

Mais énergiquement ne veut pas toujours dire efficacement, et l’héroïsme — on vient de le reconnaître une fois de plus — ne suffit pas contre le nombre. La flotte allemande, si elle n’avait devant elle que Flessingue et que la petite marine néerlandaise[1], viendrait probablement à bout de ces obstacles par une attaque brusquée, laissant le soin de régler l’incident à d’habiles négociateurs qui sauraient jouer à la fois des caresses et des menaces. Tout au plus peut-on dire que, si les Hollandais se hâtaient d’établir dans l’estuaire des barrages successifs de mines sous-marines, l’accès du grand port belge en serait rendu plus difficile. Les Allemands, par malheur, entendent aussi bien l’art de draguer les mines que celui de les mouiller[2]. Ayant tout prévu de longtemps et tout combiné,

  1. En voici l’état : 5 gardes-côtes, assez faiblement cuirassés, de 3 500 à 6 500 t., armés de canons de 21, 24 ou 28 c/m. (il y a en outre 4 petits cuirassés de cette catégorie aux Indes Orientales) ; 8 à 9 canonnières cuirassées fluviales et 2 vieux monitors, ces derniers armés de 2 canons de 28 c/m de modèle ancien ; 6 croiseurs protégés de 4 000 tonnes datant de 15 à 18 ans et assez bons bateaux de mer ; 8 « destroyers » neufs de 500 tonnes ; 20 torpilleurs ; 4 sous-marins de 120 à 150 tonnes ; 4 mouilleurs de mines. — Il y a en construction 3 canonnières cuirassées, 2 sous-marins et 8 torpilleurs. — Dans le courant de 1913, on a dressé un programme qui a paru fort ambitieux aux paisibles Hollandais. Il y était question, notamment, de 9 cuirassés de 21 000 tonnes !…
  2. On annonce justement, à la date du 19 octobre, qu’ils viennent d’entreprendre de miner l’Escaut en aval d’Anvers. Il serait intéressant de savoir s’ils n’ont pas dépassé la ligne frontière. En tout cas, ils n’ont pas perdu de temps. Bien entendu, des portières sont ménagées dans les lignes de ces mines automatiques.