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Granique d’Alexandre, pour lui permettre d’enrichir sa collection des fleuves célèbres et de boire une fois de plus dans des eaux qui avaient roulé de la gloire. C’est elle qui, en fée bienveillante, transforme sur son passage le moindre soldat turc en pacha, le plus humble papas en patriarche. C’est ainsi qu’en Morée, où il n’y a pas de patriarche, il a été reçu par le patriarche de Morée ; c’est ainsi qu’à Jérusalem il a été reçu par le patriarche arménien. « Celui-ci, dit-il, s’appelait Arsenios, de la ville de Césarée en Cappadoce, il était métropolitain de Scythopoli et procureur patriarcal de Jérusalem ; il m’écrivit son nom et ses titres en caractères syriaques sur un petit billet que j’ai encore. » Il n’y a jamais eu à Jérusalem de patriarche arménien qui s’appelât Arsenios. Quand Chateaubriand vint en Terre-Sainte, le patriarche arménien était Théodore III, et le vicaire du patriarche s’appelait Jacques. Il n’y a jamais eu de ville arménienne qui s’appelât Scythopoli, et chacun sait que les Arméniens n’écrivent pas en syriaque. Au demeurant, il méritait d’être patriarche, cet aimable Arménien qui reçut si galamment le chevalier français :


Le patriarche, qui ressemblait à un riche Turc, était enveloppé dans des robes de soie, et assis sur des coussins. Je bus d’excellent café de moka ; on m’apporta des confitures, de l’eau fraîche, des serviettes blanches ; on brûla du bois d’aloès, et je fus parfumé d’essence de roses au point d’en être incommodé.


Ce modeste employé du patriarcat a, sans le savoir, traité, comme il convenait, une des grandes gloires d’ici-bas ; et, avec son essence de rose et sa fumée d’aloès, il a placé cette idole dans son cadre. Rien pourtant ne vaut peut-être, comme transposition amusante de la réalité, la soirée passée à Misitra « chez Un des principaux Turcs de l’endroit, appelé Ibrahim-bey : »


Nous mimes pied à terre dans sa cour, et ses esclaves m’introduisirent dans la salle des étrangers ; elle était remplie de musulmans, qui tous étaient, comme moi, des voyageurs ou des hôtes d’Ibrahim. Je pris ma place sur le divan au milieu d’eux… Notre hôte arriva ; on lui avait porté la lettre de M. Vial. Ibrahim, âgé d’environ soixante ans, avait la physionomie douce et ouverte. Il vint à moi, me prit affectueusement la main, me bénit.


La conversation s’engage ; d’abord très simple, elle s’élève