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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

seuls mots : « Chapeau bas devant Kléber ! » Et le cordon muet se mit à s’enrouler autour de l’ancêtre. Dans le silence impressionnant, avec le bruit des pas sur le sol, il semblait qu’on perçût alors la Marseillaise instinctive qui chante au cœur alsacien. Ou plutôt, je pensais au geste de M. Maurice Barrès, peu de jours auparavant, aux funérailles de Déroulède, offrant à l’image de Strasbourg les fleurs du mort, comme ces Alsaciens défilaient ici à Strasbourg devant Kléber, sans parler.

Kléber, c’est le grand nom, c’est la plus haute figure militaire de l’Alsace. Et la vie d’un Kléber, ses exploits, ses mots, c’est ce que l’on peut trouver de plus authentiquement et fièrement alsacien. Mais Kléber a des compagnons, des frères d’armes ; Kléber a des fils ; le sang généreux n’est pas refroidi. Le peuple qui produit de tels héros a le droit de considérer comme il fait ceux de Saverne…

Pour sa défense contre les gens de l’autre côté du Rhin, la France avait fait mieux que de prendre l’Alsace et d’y élever les forteresses de son Vauban. Elle a voulu être aimée ; elle a pris les âmes. Il y a les territoires, et il y a les âmes. Ceux qui ont pris l’Alsace depuis n’admettent pas qu’il y ait les âmes. Répondant, en 1870, à l’historien Mommsen, qui avait affirmé un droit de propriété de l’Allemagne sur l’Alsace, l’historien Fustel de Coulanges, qui avait professé à Strasbourg, lui disait : « Strasbourg n’est pas à nous, Strasbourg est avec nous. » Avec nous, l’Alsace s’est formée de nous l’idée que, séparée de nous, elle devait en conserver. Par delà nos chétifs systèmes, nos divisions misérables, de toute la France qu’elle avait connue, l’Alsace, naturellement et simplement, a fait ce bloc, que nous avons retrouvé nous-mêmes à l’heure grave, qui est le bloc français. Et c’est pourquoi cette Alsace, dont on aurait tant voulu mieux parler, il faut la saluer pour hier, pour aujourd’hui et pour demain, comme le plus grand et le plus riche des enrichissemens français.

Pierre de Quirielle.