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Sa statue est à l’angle du Broglie et du quai qui porte son nom, adossée à son ancienne préfecture, depuis résidence du statthalter. Et dans quelques semaines tombera pour la France et l’Alsace le centenaire de la mort de Lezay-Marnésia, le meilleur administrateur sans doute que la France ait envoyé à l’Alsace.

Sa statue, élevée en 1855, est l’œuvre du sculpteur Grass, à qui l’on doit aussi la statue de Kléber, inaugurée en 1840, sur l’ancienne Place d’Armes, où l’on avait deux ans plus tôt transporté l’héroïque dépouille qu’elle devait surmonter. Et le soir même du jour où j’avais vu au Landtag de Strasbourg ce successeur prussien de Lezay en Alsace, M. de Rœdern, je pouvais assister au monôme traditionnel des étudians alsaciens autour de la statue de Kléber. Le marquis de Lezay-Marnésia, c’est un bon administrateur français en Alsace. Kléber, illustre enfant du peuple, né à Strasbourg, incarne la plus pure, la plus belle gloire militaire de son pays. Il est naturel que cette gloire alsacienne et française soit devenue, avec l’image qui l’évoque, le lieu sacré d’un culte alsacien. C’est spontanément, c’est d’elle-même que s’est établie, depuis vingt-cinq ans environ, depuis les mesures prises contre des sociétés alsaciennes d’étudians, la tradition de cette grave et émouvante manifestation. À la suite de leur banquet annuel, réunion simple et joyeuse, où ils ont invité quelques-uns de leurs aînés, tous, les vieux et les jeunes, défilent à minuit, tête nue, sans un mot, sans un geste, autour de Kléber.

Cette place, sombre et silencieuse à cette heure où ils vont paraître, est le centre de la vie strasbourgeoise. On aperçoit, par-dessus les toits conservés de quelques vieilles maisons, la flèche de la cathédrale, la tour du Temple Neuf qui fut détruit avec la Bibliothèque attenante dans les terribles nuits des 24 et 25 août 1870. Ce bâtiment de l’Aubette, avec le musée qu’il renfermait, fut aussi entièrement brûlé. Au bout, il y a le corps de garde : chaque jour à midi la relève de la garde se faisait, au son des fifres, avec l’exécution de cette « parade-marche, » caractéristique de l’armée allemande, ici devant la statue de Kléber. À l’extrémité opposée de la place où, plus d’une fois, j’ai vu déboucher ces soldats allemands, j’ai vu, à minuit, apparaître le cordon noir des étudians ; il s’allongeait devant l’Aubette pour se diriger vers la statue. On entendit, en tête du cortège, une bonne voix alsacienne, celle de M. Anselme Laugel, dire ces