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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

dont la flèche fut tordue, le 15 septembre 1870, par les boulets badois. Il rappelle le plus ancien monument de notre langue française connu sous ce vocable : « le serment de Strasbourg, » le chant héroïque et fier qui fut chanté là pour la première fois… En 1814, c’est à Strasbourg que se manifesta le mieux l’entente des défenseurs et de la population, des autorités militaires avec les autorités civiles.

Celles-ci qui coopérèrent étroitement à la défense avaient à leur tête le sénateur Roederer, Messin d’origine et à demi Strasbourgeois, envoyé par Napoléon avec le titre de commissaire extraordinaire, et l’admirable préfet Lezay-Marnésia, digne successeur en Alsace des intendans de l’ancienne monarchie. Grâce à sa connaissance parfaite du pays et à l’affection dont il y était entouré, Lezay put travailler efficacement à l’organisation de la résistance. Et ce ne fut pas trop ensuite de son habileté et de son prestige pour mener à bien la délicate négociation de la reconnaissance des Bourbons. C’est à cette reconnaissance, rapidement et opportunément proclamée, c’est à ses sentimens clairement et fortement affirmés, c’est au désaccord des alliés au sujet de la Pologne, que l’Alsace a dû alors de rester française.

Le traité du 30 mai 1814 décevait les espérances et les appétits de beaucoup d’Allemands. Ces appétits se manifestèrent, on sait avec quelle force, l’année suivante où l’empereur Alexandre s’entremit pour les arrêter. L’Alsace était déjà revendiquée par la voix des poètes et des publicistes d’outre-Rhin. Toute une polémique s’engagea à cette époque entre Alsaciens et Allemands à propos de l’Alsace, de ses destinées, de ses traditions, de son caractère et de sa culture, polémique littéraire, parfois poétique, écrite des deux côtés en allemand, singulièrement intéressante comme précédent, si l’on songe à celle que, dans d’autres conditions pour eux, les Alsaciens ont soutenue au cours de ces dernières années. Et des querelles fort vives avaient lieu entre Alsaciens et Badois : 1814 avait suffi à gâter tout à fait les rapports de ces voisins. La brève occupation des Allemands en Alsace laisse des deux côtés de fâcheux souvenirs. En dépit des conventions, quelques chefs militaires tentent de dégarnir les forteresses, d’enlever le matériel ; on s’irrite d’une mauvaise foi qui s’essaie timidement ; çà et là, l’attitude d’officiers évoque de petites affaires Forstner. Il ne fait pas bon en général pour le militaire allemand qui rentre en Allemagne de