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L’ALSACE EN 1814 ET EN 1914.

continu dans sa richesse agricole et industrielle, d’indépendance réelle et vraie, sous une administration centralisée ; de l’autre, après la date fatale, c’est les quarante-quatre années du régime nouveau. Elles seraient plus longues à retracer que les cinquante-six premières. On verrait ici se vérifier le proverbe qui dit que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. L’Alsace annexée a une histoire, et quelle histoire !

Pour l’Alsace d’aujourd’hui, les circonstances m’y ont conduit deux fois cette année, d’abord pendant l’affaire de Saverne, et, un peu plus tard, au moment où un autre gouvernement remplaçait celui dont l’affaire de Saverne avait amené la disparition. J’avais sous les yeux l’aboutissement de cette histoire, les résultats de ce régime nouveau, ce qu’il a fait de l’Alsace sous le joug du militarisme allemand et du fonctionnarisme prussien. On ne pouvait guère soupçonner, l’hiver dernier, comment s’achèverait, pour l’Alsace, cette année du centenaire de 1814. Il y a cent ans, l’Alsace, toute seule et presque abandonnée, résistait à l’invasion de l’étranger, mieux peut-être et plus résolument que le reste du pays français. Elle montrait très clairement ses sentimens à l’égard de l’Allemagne et des frères allemands qui tendaient déjà les bras pour l’étreindre à leur manière, des bras chargés d’armes contre la France. L’Alsace a défendu la France contre eux, d’instinct, et sans qu’on ait eu besoin de l’y pousser, sachant bien qu’elle se défendait elle-même. Elle a affirmé nettement, parfois héroïquement, sa fidélité française. Elle a prouvé fortement sa fusion achevée avec le génie, les destinées, la gloire et les revers d’un pays auquel l’attachaient des liens désormais indissolubles. L’étranger, qui fit peser alors sur elle une occupation relativement douce, trop brève à son gré, partit peu satisfait. Il est revenu.

Il est revenu plus dur, plus féroce. 1814, 1914, dates intéressantes à comparer, dût la comparaison être trop sommaire et hâtive : celui qui la hasarde ici sait mieux que personne combien elle le sera. Il était déjà suggestif de comparer l’occupation belliqueuse des premiers mois de 1814 à l’occupation des premiers mois de 1914, qui, pour le centenaire, correspondaient exactement. La comparaison n’était pas à l’avantage de l’occupant actuel. Comment le qualifier depuis, cet occupant, pour tous les actes dont une faible partie sans doute est arrivée jusqu’à nous ? Ce que nous savons nous emplit d’angoisse sur le sort